Publié le: 30 novembre 2016

Aux écoutes, près d’un siècle au service des malentendants romands

Aux écoutes, près d’un siècle au service des malentendants romands

Fondé en 1924 avec la foi et le dévouement des pionniers décidés à faire bouger les choses, aux écoutes a connu une vie riche, passionnée et passionnante. Au moment où il s’apprête à privilégier la publication sur internet, retour sur 92 ans d’engagement au service des malentendants romands.

Pour qui se livre à une plongée dans les archives du magazine – l’ensemble de la collection est disponible dans les bureaux de forom écoute ! -, l’aventure est une plongée historique passionnante. A plus d’un titre, car l’histoire de votre journal est intimement liée à celle de la Suisse romande bien sûr, mais aussi aux évolutions respectives du monde de la malaudition et… de la presse. Une histoire riche, diverse et multiple que nous vous racontons brièvement ici, au moment ou aux écoutes s’apprête à connaître un nouveau tournant décisif pour, en phase avec l’époque actuelle, basculer dans le monde du numérique.

« Organe de ralliement »

Tout commence en fait il y a presque un siècle, en 1924, plus exactement en octobre 1924, lorsque paraît le premier numéro du magazine, en noir et blanc évidemment, et intitulé « Aux Ecoutes ! », émanation de la Société romande pour la lutte contre les effets de la surdité (SRLS). Le sous-titre de la nouvelle publication sonne déjà comme un programme : « Organe de ralliement pour les personnes d’ouïe faible, leurs amis et les associations qui se consacrent à la lutte contre les effets de la surdité ». Ainsi, et d’emblée, le journal se définit avec une fibre militante en plaçant la vie des amicales romandes et la protection des intérêts des malentendants au sommet de ses priorités.

1925

La parution est bimestrielle, et l’abonnement annuel est de… 4 francs. Quoique modeste, le premier numéro du magazine est déjà extrêmement bien conçu, avec un éditorial, un conte d’Alfred de Musset, un historique du « mouvement en faveur des sourds en Suisse », une chronique médicale, des échos des amicales et un courrier des lecteurs. Autant dire que le petit nouveau est fort complet puisqu’il compte même une page de… publicité !

Le contenu du premier éditorial est en outre édifiant : « Aucun journal n’est particulièrement adapté aux sourds, c’est à dire ne leur parle le langage de la compréhension en leur donnant les encouragements nécessaires ; ne les entretient de leurs peines ou de leurs espoirs ; ne les met en garde contre les dangers d’un isolement trop prolongé », déplore ainsi l’éditorialiste pour expliquer les raisons qui ont conduit au lancement d’un journal spécifiquement dédié aux malentendants romands.

Fridette Amsler

Sa fondatrice est Fridette Amsler, de Vevey et pionnière de la SRLS. Née en 1894, elle subit les premiers effets de la perte auditive dans son enfance déjà, perte qui va considérablement s’aggraver à l’orée de l’âge adulte. Très vite, la jeune femme décidément bien déterminée et visionnaire, comprend les enjeux sociaux de la perte auditive, et cherche des moyens de redonner confiance et courage aux « handicapés de l’ouïe » à une époque où les prothèses auditives sont inexistantes.

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Elle fonde alors - nous sommes en 1922 - la première amicale des sourds et promeut activement la lecture labiale dont elle deviendra d’ailleurs une excellente enseignante. Elle crée même le premier service destiné à faire connaître aux malentendants les ancêtres des premiers appareils auditifs – on les appelait « cornets acoustiques » -, pourchassant sans relâche les nombreux charlatans qui sévissaient à l’époque et organisant des séances de démonstration dans de nombreuses villes romandes.

Pendant 25 ans, jusqu’en 1949, elle portera à bout de bras la revue aux écoutes, dont elle s’occupera, avec exigence et compétence, à la fois de la rédaction et de l’administration. Sous son impulsion, aux écoutes deviendra même en 1931, soit 7 ans après sa fondation, l’organe officiel de la SRLS.

« Servir. S’il est un mot qui s’applique à la tâche de Melle Amsler et qui caractérise son dévouement, c’est celui-ci, résumera ainsi son successeur M. Loosli, au moment de son décès à la fin des années 50. Jusqu’au dernier moment, elle a voulu servir. Elle a voulu voir et corriger encore les épreuves du numéro qui devait paraître deux jours avant sa fin. Elle a été l’âme de cette publication qu’elle a marquée de son empreinte intelligente et généreuse ».

Intelligent et généreux

Et effectivement. Aux écoutes dans ses vingt premières années, est déjà intelligent et généreux. Il aborde avec une modestie et une tolérance qui n’empêchent pas une grande pertinence, les grandes problématiques de la vie des malentendants. Il prend, comme on peut le lire dans un numéro de 1934, « soin de sa robe et de chacune de ses pages (…) avec coquetterie et sollicitude pour que le contenu soit varié et plaise à des lecteurs de mentalités différentes ». Les malentendants sont mis à contribution pour rédiger des articles, des voyages sont organisés pour les abonnés, un fonds pour solliciter des dons afin de financer des abonnements est créé, alors que sont déjà récurrentes les préoccupations financières inhérentes à tout journal « à but non lucratif ». En 1944, un éditorial se félicite même que le journal ait « tenu le coup », évitant le « sort commun à tant d’autres ».

Et puis, la lecture des noms qui émaillent les comités de rédaction successifs du magazine, malentendants, médecins, bénévoles, est riche en enseignements, garante de sa qualité rédactionnelle. Entre autres noms, on peut ainsi retrouver ceux des Dr Curchod et Fath de Lausanne, de Melle Moreillon également de Lausanne, du Dr Morard de Fribourg, de Jacques Vuilleumier de Tramelan, de M. Junod de Genève, de Marc Jaccard du Locle, de Melle Gerhard de Château-d’Oex, de M. Mouchet de Neuchâtel, plus récemment de Lilia Pellet, etc. Pendant près de 90 ans, tant de bonnes fées se sont penchées sur le berceau du bébé et ont contribué à le faire grandir puis prospérer au service des malentendants, qu’il serait bien difficile de citer tous leurs noms. Hommage leur soit rendu ici.

Comme dans tout journal, il y a également des lettres anonymes, que le comité de rédaction rejette fermement au nom d’une éthique sourcilleuse, des erratums, des mises en garde et des jeux. Pour ne paraître que tous les deux mois, aux écoutes est complet, responsable, varié et proche de ses lecteurs, qui le plébiscitent et sont toujours très sensibles aux mots d’encouragements qu’on peut, à chaque édition, y lire : en 1975, l’éditorial du magazine, sensible à la difficile réalité des malentendants, réitère son crédo avec force et sagesse : « aux écoutes vous dit : courage, confiance, nous ne sommes jamais seuls. Nous avons besoin les uns des autres. Accepter son infirmité, regarder tout ce que l’on possède encore, n’est-ce pas un privilège ? ».

Bien des femmes et des hommes se sont donc dévoués pour aux écoutes et pour la cause des malentendants. Si les humains partent, leur œuvre reste. Aux écoutes a donc perduré et duré au fur et à mesure des décennies, sans jamais perdre ni son âme, ni sa vocation. Son aspect en revanche a bien souvent changé, et à l’instar du tournant qu’il s’apprête à prendre bientôt, il a toujours su s’adapter à son époque, se renouveler tout en restant fidèle à sa mission, grâce à ses comités de rédactions successifs. La couleur est progressivement introduite en bichromie bien sûr, puis en multichromie, les polices de caractère évoluent, les publicités et les petites annonces s’étoffent, la couverture change et subit régulièrement des rafraîchissements, avec des photographies qui à chaque fois contribuent à le rajeunir.

Le prix de l’abonnement, toujours modeste pour demeurer accessible au plus grand nombre, s’adapte à l’inflation, il passe à 6 francs en 1963, puis à 10 francs dans les années 70, 20 francs en 1983, 25 francs dans les années 90. Les problématiques abordées évoluent également avec les questions économiques et financières qui sont de plus en plus souvent abordées au fur et à mesure que se développent les assurances sociales.

Tournant majeur

Avec le tournant du siècle à l’aube des années 2000, aux écoutes connaît un changement majeur : la SLRS dont il est l’organe officiel, change de statut et se transforme en une toute jeune fondation, forom écoute. « Hervé Hoffmann, qui est à ce moment-là devenu le directeur de la fondation, a engagé un profond changement du magazine, un peu moins tourné vers la vie des amicales, même si celle-ci a continué à être amplement traitée, et plus vers des thématiques globales des malentendants, techniques, sociales, économiques », raconte Anne Grassi employée de la fondation depuis de longues années.

En 2010, sous la houlette de Jean-Pierre Mathys, aux écoutes s’agrandit littéralement et change de format et de maquette pour s’éloigner encore un peu plus du modèle amicalien et devenir un magazine de plus grandes dimensions, complètement en couleurs, moderne et complet, dédié à l’information autour de la surdité, de ses conséquences, de ses prises en charges et de son coût social et psychique pour le malentendant. Des témoignages et des reportages y sont introduits en grand nombre. « Nous allons donner aussi souvent que possible, la parole aux malentendants, aux associations et aux amicales disséminées aux quatre coins de la Romandie, en donnant également un maximum d’informations sur l’actualité de la malaudition », écrit ainsi son rédacteur en chef Jean-Pierre Mathys, dans son éditorial de janvier 2010. Un changement graphique et éditorial évident, très bien accueilli par les lecteurs, et qui s’inscrit dans la continuité des engagements pris par le journal depuis sa fondation quelque 90 ans plus tôt.

2010

« Vaillants et utiles »

Trait d’union presque centenaire entre forom écoute et les malentendants, aux écoutes s’apprête donc aujourd’hui à vivre un nouveau changement de son histoire, en s’adaptant aux évolutions technologiques. Le papier s’efface désormais et, par la magie du numérique et de l’informatique, laisse la place à de nouveaux supports résolument modernes : ordinateurs, tablettes, smartphones... Mais si les supports évoluent, la vocation reste la même, puisque ses fidèles lecteurs continueront à y trouver le contenu qui fait depuis si longtemps son succès, mélange de proximité, de témoignages et d’informations utiles à leur quotidien. Sur internet, et avec une caisse de résonnance démultipliée grâce au web, aux écoutes continuera ainsi à fournir aux malentendants et selon les propos de Fridette Amster dans le premier numéro paru en 1924, « les moyens d’être vaillants et utiles ».

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