Publié le: 15 septembre 2016

Madeleine Nicolier : d’Alexandrie à Blonay, une vie entre humour et résilience

Madeleine Nicolier : d’Alexandrie à Blonay, une vie entre humour et résilience

Malentendante et implantée vers l’âge de 60 ans, Madeleine Nicolier a un parcours à son image : riche, plein d’imprévus, ouvert sur le monde et ô combien passionnant. Actrice de théâtre amateur, cette septuagénaire établie à Blonay écrit désormais des pièces de théâtre.

De Miss Marple, la célèbre héroïne de romans policiers d’Agatha Christie, elle a le regard facétieux, le sens de l’humour, et surtout, un subtil regard porté sur le monde qui l’entoure. Malentendante, Madeleine Nicolier est une septuagénaire d’une jeunesse éclatante. Son élixir de Jouvence ? Une joie de vivre incontestable, une soif d’apprendre sans limites. Et son parcours, hors normes, est à l’image de son caractère.

Car cette Suissesse, née d’un père Suisse-allemand et d’une mère Slovène, est d’abord une « Egyptienne de cœur », puisqu’elle est née il y a un peu plus de septante ans à Alexandrie. Alexandrie, il y a plusieurs décennies, c’était un melting-pot unique où toutes les religions et toutes les nationalités se rencontraient et cohabitaient en toute harmonie. La preuve ? Son père, envoyé là-bas en 1939 par son entreprise basée à Winterthur, y rencontre sa maman, une jeune Slovène débarquée en Egypte pour y travailler comme fille au pair chez une riche famille juive.

La jeune Madeleine y est conçue et nait là-bas quelques années plus tard. Elle y passera les 12 premières années de sa vie, dans une ambiance cosmopolite unique au monde, des années où elle y apprendra « la tolérance ». Avec son père, elle parle le Suisse-allemand, avec sa maman, l’italien, tandis que le couple échange en… français. Riche de cette éducation, des années plus tard, Madeleine suivra de fait une formation de secrétaire multilingue, puisqu’elle parle l’allemand, le suisse-allemand, le français, l’italien, l’anglais… et même quelques mots d’arabe.

Quitter Alexandrie…

A 12 ans, Madeleine quitte parents et Alexandrie pour arriver dans la région de Zurich : nous somme en 1957, et après la crise de Suez, nombre d’Européens quittent l’Egypte. Résultat : les écoles se vident et l’enseignement doit se poursuivre ailleurs. « C’était un déchirement de quitter Alexandrie, se souvient cette Européenne cosmopolite et ouverte sur le monde. Une ville internationale où l’on parlait le français, avec le soleil, la mer et des rapports humains d’une chaleur exceptionnelle. Je sais que j’ai vécu quelque chose d’extraordinaire là-bas ! »

Après Zurich, Madeleine Nicolier suit sa formation professionnelle de secrétaire à Neuchâtel, puis s’installe avec son mari dans la Riviera vaudoise. Ses deux enfants y naîtront et elle mène une vie plus ordinaire de mère au foyer. Sauf qu’en elle, sommeille l’esprit d’une pionnière. Rester inactive n’est pas dans l’esprit de cette femme pragmatique et progressiste, décidée à agir lorsque la situation l’exige. Elle œuvre comme bénévole dans un grand nombre d’associations, et elle est même à l’origine de la fondation du premier service d’accueil pour écoliers de Montreux. « A l’époque, il n’y avait rien pour les enfants. Mais cela n’a pas été évident pour autant. Beaucoup de gens mettaient le pied au mur et on m’a même dit que j’allais favoriser les divorces ! » sourit-elle encore aujourd’hui.

Madeleine vit donc sa vie de maman active, lorsqu’à l’âge de 48 ans, alors que rien ne les laissait présager, surviennent les premiers signes de déficience auditive. Et puis peu à peu, par paliers progressifs, la surdité, vraisemblablement d’origine génétique, s’aggrave. « Au départ, comme toute personne qui a un handicap, on est un peu largué. Et puis, à un moment, je me suis dit que je n’avais que deux options : soit me laisser couler, soit m’en sortir. C’est là que j’ai passé l’étape la plus importante : accepter mon handicap pour avancer ».

Hélas, ce n’est pas fini. Un soir, alors qu’elle reçoit des amis à dîner, son ouïe disparaît d’un coup, comme si « l’on appuyait sur un bouton pour éteindre ». « Heureusement que j’avais déjà suivi des cours de lecture labiale, raconte Madeleine Nicolier. J’ai même pu continuer la soirée sans que mes amis ne se rendent compte de rien ». Seulement voilà : désormais, à près de 55 ans, Madeleine est totalement sourde, malgré ses appareils auditifs. Comme à l’accoutumée, elle s’adapte, recourt systématiquement à la lecture labiale et surtout aux avantages des nouvelles technologies, sms et internet, qui lui permettent de ne pas sombrer dans le repli et l’isolement. Mieux encore, elle éprouve une sorte de soulagement : « le jour où je suis devenue sourde, j’ai poussé un grand ouf : je n’avais plus besoin de faire semblant d’entendre, ma peur de ne pas comprendre les autres avait complètement disparu et je me suis plongée dans cet océan de tranquillité ! »

Implant cochléaire

Et puis, il y a une douzaine d’années, sur recommandation de son ORL, elle consulte au CURIC, le Centre universitaire romand d’implants cochléaires, et se fait implanter dans la foulée. « C’est formidable, se réjouit-elle encore : désormais, je considère que je ne suis plus sourde. Grâce à l’implant, j’ai pu de nouveau mener des conversations, passer des téléphones sans souci, reprendre une vie normale, en quelque sorte. Cela m’a sauvée la vie ! »

Décidément pleine d’imprévus, la vie de Madeleine a pris en outre un autre cours : non seulement elle travaille à temps partiel dans un kiosque, histoire d’assouvir sa soif de contacts humains et de mettre à profit ses talents linguistiques, mais elle déménage à Blonay. Dans ce petit bourg, pour elle, tout est à refaire en matière de contacts humains. Alors un jour, lorsqu’elle découvre dans sa boîte aux lettres un flyer d’un groupe de théâtre amateur cherchant des acteurs, elle n’hésite pas un instant, y voyant là le meilleur moyen de s’intégrer dans son nouveau village. « J’avais un peu peur que mes problèmes auditifs me posent des soucis, raconte-t-elle. Mais cela s’est très bien passé, j’ai été bien acceptée et j’y ai rencontré des gens formidables, ce qui m’a permis de me ressourcer, y compris auprès des plus jeunes ».

Seulement voilà : la vie est faite de deuils successifs, et Madeleine doit peu à peu renoncer au plaisir de monter sur les planches. En raison de la surdité ou de l’âge, elle a de plus en plus de mal à mémoriser ses textes. Alors, qu’à cela ne tienne, elle fait ce qu’elle a toujours fait : elle s’adapte. Au lieu de jouer, elle va… écrire des pièces de théâtre. « On parlait beaucoup à l’époque des personnes âgées qui se faisaient gruger par des soi-disant neveux. Cela m’avait beaucoup interpellée, et en étudiant la question, j’ai eu l’idée d’écrire une pièce pour sensibiliser les personnes. C’est comme cela que ma pièce intitulée « Le neveu d’Australie » est née !»

Quelques temps plus tard, décidément inspirée, Madeleine Nicolier dont l’imagination fertile ne faiblit pas, écrit sa deuxième pièce intitulée « Paprika Canelle » une pièce « aigre-douce » en forme de message d’espoir et consacrée à la vie en EMS, également jouée à Blonay.

Et ce n’est pas fini : notre écrivaine en herbe, toujours à l’écoute de ce qui l’entoure et des changements de la société contemporaine, est actuellement en train de rédiger une troisième pièce intitulée « seniorsamor.com », consacrée… aux sites de rencontres pour personnes du 3ème âge. Et cette septuagénaire pétillante de conclure avec son inimitable sens de l’humour : « J’ai la grande chance d’être quelqu’un d’optimiste et je n’ai pas peur de mourir. Quelqu’un n’a-t-il pas dit que quand on est sourd, on n’entend pas la mort venir ? »