Publié le: 15 janvier 2013

Bien entendre pour bien vieillir

Bien entendre pour bien vieillir

Avec l’âge, près d’une personne sur deux présente une baisse notable de ses capacités auditives.
Les conséquences de cette presbyacousie sont multiples et sources d’isolement psychique et social.
Pour les seniors, préserver et corriger son audition le plus tôt possible est un gage de qualité de vie.

« C’est évident, la différence est vraiment flagrante, et je peux la constater tous les jours. Nos pensionnaires qui présentent une audition préservée ou corrigée sont ceux qui maintiennent la meilleure qualité de vie. » Pour Thérèse, aide-soignante depuis près de trois décennies dans un grand EMS de la région genevoise, le constat ne fait pas l’ombre d’un doute. Pour celle qui a vu défiler des dizaines et des dizaines de pensionnaires tout au long de sa carrière, le maintien de fonctions auditives chez les personnes âgées ou très âgées est carrément un incontestable gage de vieillissement harmonieux. Cette problématique est d’ailleurs tellement importante, que la Journée Nationale de l’Audition en a fait son thème de prédilection pour l’édition 2013 (lire encadré).

Et pour cause. L’altération des facultés auditives fait partie du processus normal de vieillissement, conséquence de l’usure de l’oreille elle-même, mais aussi de la sénescence des voies auditives et de la baisse des facultés intellectuelles. Rapporté à l’inéluctable vieillissement de l’ensemble de la population suisse, ainsi qu’à l’allongement constant de notre espérance de vie, le phénomène prend toute sa dimension. Et les chiffres sont à cet égard éloquents: si on considère qu’entre 45 et 55 ans, environ 10% de la population est (déjà !) atteinte de presbyacousie, les statistiques grimpent à 25% pour la classe d’âge comprise entre 65 et 75 ans, et carrément à 40% des plus de 75 ans.

Isolement

Cette presbyacousie, qui s’installe de manière progressive et insidieuse, n’est évidemment pas, ainsi que l’a constaté Thérèse, sans conséquence pour les personnes concernées, qui peu à peu, sombrent dans l’isolement et l’enfermement (lire ci-dessous l’interview du docteur Italo Simeone). « La presbyacousie entraîne une coupure entre la personne touchée et son entourage, confirme une psychologue installée à Yverdon-les-Bains. Au départ, les personnes demandent volontiers à leur interlocuteur de répéter, mais au bout d’un moment, elles ont peur de lasser les autres et finissent par renoncer. Progressivement, elles s’excluent des conversations, et à terme ne voient même plus l’utilité de rencontrer d’autres personnes. C’est ce repli sur soi, aussi bien sur le plan psychique que social, qui est dangereux, car elles se coupent du plaisir de l’échange qui entretient la vie ».

Le résultat est simple: l’isolement favorise la frustration, la rumination, ainsi que des sentiments d’anxiété qui peu à peu, peuvent laisser place à des dépressions plus ou moins intenses.

« Bien sûr, la presbyacousie est un facteur favorisant la survenue d’une dépression, constate la doctoresse Izabel Kos, médecin-adjoint responsable de l’unité d’otologie aux Hôpitaux Universitaires de Genève. Les personnes âgées sont déjà souvent isolées, et la perte des facultés auditives, ainsi que la fatigue qu’elle induit, accentue cet isolement. C’est très déprimant ! »

Solutions efficaces

Que faire donc face aux inéluctables outrages de l’âge, face à un phénomène qui touchera près d’une personne âgée sur deux, et qui risque d’altérer considérablement la qualité de vie des seniors ? A ce jour, aucun traitement médicamenteux ou chirurgical n’a permis de « guérir » ou même d’améliorer la presbyacousie. Heureusement, des solutions efficaces existent, et l’immense majorité des pertes auditives liées à l’âge peuvent être corrigées ou pour le moins limitées par le port d’appareils auditifs.

Et plus tôt celles-ci seront adoptées, plus on évitera cet isolement si délétère pour les plus âgés. « Quand il s’agit de presbyacousies simples, d’intensité légère ou moyenne, et ce sont les plus fréquentes, on obtient des résultats vraiment convaincants en terme de correction auditive, explique Georges Fivaz, audioprothésiste à Lausanne. C’est la raison pour laquelle il est important de procéder à un dépistage précoce ».

Un dépistage qui semble d’autant plus impératif que certains chiffres permettent d’entrevoir l’ampleur de la tâche. Car en Suisse, on estime que seules 40 à 50 % des personnes concernées par la perte auditive liée à l’âge seraient dotées d’un appareillage efficace. Un phénomène qui ne laisse pas de surprendre, mais qui trouve plusieurs explications. En premier lieu, le fait que la presbyacousie s’installe de manière très progressive, et que la personne peut tout simplement ne pas s’en rendre compte. Dans ce cas, c’est son entourage qui joue un rôle primordial, en observant par exemple qu’elle a tendance à mettre la télévision de plus en plus fort, et permet ainsi une prise de conscience.

Réticences

Autre explication, et pas des moindres: même si elles sont conscientes de leur presbyacousie, et malgré les risques affectifs que celle-ci implique, de nombreuses personnes âgées refusent purement et simplement de s’appareiller. Soit parce que les coûts d’acquisition d’un appareil peuvent les décourager (lire notre article sur l’évolution de la révision 6b de l’AI en page 8), soit parce qu’elles sont dans un déni de leur situation. « Au-delà des questions de prix, et même s’il ne faut pas généraliser, les personnes qui ne sont plus en activité professionnelle hésitent plus souvent à s’appareiller, observe l’audioprothésiste Georges Fivaz. Mais il est vrai que d’une manière générale, entre 30 à 40 % de mes patients ont du mal à reconnaître qu’ils entendent mal ! »

« Les appareils auditifs ont une mauvaise réputation chez les personnes âgées, relève également la doctoresse Izabel Kos des HUG. Simplement parce qu’elles ont encore à l’esprit le souvenir des appareils que portaient leurs propres parents, et qui ne fonctionnaient pas très bien. Or les progrès technologiques sont tels que les appareils d’aujourd’hui n’ont vraiment plus rien à voir. D’ailleurs, nous travaillons en coordination avec les audioprothésistes et les EMS, non seulement pour dépister les presbyacousies, mais aussi pour expliquer les nouveautés et encourager les personnes à s’appareiller, constate-t-elle. Agir à titre préventif est vraiment primordial, car il est très difficile de faire revenir une personne âgée qui s’isole ».

Ch.A.

[zone]La presbyacousie, un phénomène naturel

L’altération des capacités auditives est un phénomène physiologique qui survient inéluctablement avec l’âge. Le nombre de personnes concernées est d’ailleurs proportionnel à la classe d’âge. Il s’agit d’une perte d’audition bilatérale qui touche plus volontiers les hommes et dont l’âge de survenue dépend de facteurs divers, comme la présence d’antécédents familiaux, mais aussi, et c’est important en termes de dépistage, d’exposition aux bruits excessifs (bruits professionnels ou de loisirs, comme l’utilisation inappropriée de baladeurs numériques). Il semble également que la présence de maladies associées, comme le diabète ou l’hypertension artérielle joue un rôle important.

Début insidieux

Les débuts d’une presbyacousie sont toujours progressifs et insidieux, raison pour laquelle il est difficile de la diagnostiquer précocement. Ce sont en général les fréquences aiguës (hautes) qui sont en premier concernées, mais peu à peu les autres fréquences sont touchées, particulièrement celles qui correspondent à une conversation normale. La tendance à faire répéter les paroles d’autrui ou à mettre le son de la télévision de plus en plus fort représente un des premiers « symptômes » qui doivent, si l’on ose dire, mettre la puce à l’oreille. Si la presbyacousie démarre en général vers l’âge de 60 ans, il arrive également que des formes précoces, voire très précoces (moins de 40 ans) soient diagnostiquées.[/zone]

Journée Nationale de l’Audition (JNA)

Méconnues, les conséquences affectives de la presbyacousie ne sont pas négligeables en termes d’isolement et de qualité de vie pour les seniors. Signe de l’importance de la problématique, la Journée Nationale de l’Audition en a fait d’ailleurs son thème principal pour la 16ème édition prévue le 14 mars 2013. On peut lire ainsi sur le site internet de l’association JNA (www.journee-audition.org): « Combien sont-ils à faire la sourde oreille ? Combien sont-ils à nier et à créer de la souffrance au sein de leur famille ? Combien sont-ils à ne plus se rendre aux déjeuners entre amis ? La perte de l’audition non gérée est source de retrait psychique et social. Tout le monde est concerné ».
Pour plus d’informations sur la JNA, lire notre article dans les pages Actualités

 

 

[zone]Dr Italo Simeone: « la jeunesse est offerte, la vieillesse est à gagner »

Psychiatre genevois, le docteur Italo Simeone est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés au vieillissement. Après une longe carrière institutionnelle en psycho-gériatrie, il exerce encore aujourd’hui en médecine de ville, bien qu’il ait dépassé depuis longtemps l’âge de la retraite. Entretien avec un expert qui sait de quoi il parle, dans tous les sens du terme.

Quel impact le vieillissement a-t-il sur nos liens affectifs ?

Nous devons toujours nous adapter à l'environnement qui nous entoure grâce à nos sens: ouïe, vue, goût, etc. Avec l’âge, ces cinq sens tendent à s'affaiblir, c’est ce qui provoque une certaine désafférentation sensorielle et donc sociale. Bien sûr, la perte d’audition contribue à cette désafférentation sociale.

De quelle manière ?

Dès lors que l’on a un problème d’audition à l'âge avancé, et que l’on passe une soirée avec les amis ou plusieurs personnes, c’est le drame. On ne capte pas correctement ce qui se dit, on se sent déphasé. Et comme on ne peut pas répéter tout le temps: je n’ai pas compris !, on fait semblant, même quand on ne comprend pas !

Quelles sont les conséquences sur la personne âgée ?

Tous ces phénomènes, et j’inscris la perte auditive dans le contexte plus large du vieillissement, renforcent et construisent l’isolement de la personne âgée. La perte d’audition revêt bien sûr une dimension supplémentaire.

Pourquoi dans ce cas les personnes âgées hésitent-elles à recourir à l’appareillage auditif ?

Parce qu’elles veulent éviter d’être classées comme malentendantes, d’autant que ces personnes tendent déjà à s’auto-stigmatiser elles-mêmes ! Avec l’âge, on a de plus en plus de mal à accepter les pertes. Or celles-ci s’accumulent: on perd non seulement ses facultés physiologiques, dont l’audition, mais on perd son conjoint, on perd ses enfants qui sont loin, etc. On perd aussi son autonomie, ce qui est très difficile dans nos sociétés occidentales où nous sommes habitués et très fiers de notre indépendance. Cette accumulation induit un découragement et peut conduire à la dépression. Tout cela concourt à une perte d’estime de soi, et bien sûr à une auto-stigmatisation !

Il est donc important de recourir aux appareils auditifs ?

Bien sûr, les appareils permettent d’enrayer la spirale du repli sur soi, de la dépression et de l’autodépréciation ! Ils ont énormément progressé, en dimensions et en performances, et ils ont infiniment moins d’inconvénients qu’avant. Mais il n’est pas toujours facile de faire changer d’idée à quelqu’un qui ne veut pas (rires) !

Quelles sont désormais les perspectives en termes de vieillissement ?

Les avancées de la médecine aident énormément à bien vieillir, et c’est bien dans le domaine de la médecine que réside le plus grand vivier de découvertes scientifiques. Aujourd’hui, on peut même être relativement âgé et diriger un état sans difficultés ! Mais en matière de vieillissement, il est important d’avoir essayé de rester en bonne santé le plus longtemps possible. Et nous connaissons désormais ce qu’il faut faire en matière d’hygiène de vie.

Au-delà de la préservation de notre état de santé, que peut-on faire ?

Il est difficile de se préparer aux pertes, de l’ouïe comme d’autre chose, mais c’est un travail qu’il faut obligatoirement faire. La règle d’or est d’essayer de remplacer ce que l’on a perdu par quelque chose d’autre, qu’il faut inventer et trouver. Il n’y a pas d’autre échappatoire, il ne faut pas refuser la perte, mais s’y adapter pour qu’elle soit moins cruelle. Le professeur genevois Jean-Pierre Junod, qui fut mon enseignant en gériatrie, disait: « si la jeunesse est offerte, la vieillesse, il faut la gagner ! »[/zone]