Publié le: 15 janvier 2016

Cas de rigueur pour appareillage auditif: Un droit difficile à obtenir

Cas de rigueur pour appareillage auditif: Un droit difficile à obtenir

Depuis quatre ans, l’AI et l’AVS remboursent des montants forfaitaires pour les appareils auditifs des adultes malentendants. Le nouveau système permet de déposer une demande pour cas de rigueur, ce qui, en cas d'acceptation, permet d'obtenir le remboursement intégral des appareillages. Mais ce droit méconnu est un véritable parcours du combattant.

Bien souvent, le forfait remboursé par l’AI pour un adulte (840.- pour un appareillage monaural et 1650.- pour un appareillage binaural) ne couvre pas l’ensemble des frais de l’appareillage auditif et des services inhérents durant les six années qui suivent l'achat. Ce qui met dans l'embarras financier nombre de personnes malentendantes.

La possibilité de demander le remboursement complet des appareils auditifs existe. Appelée « cas de rigueur », cette démarche est définie dans la circulaire 304 de l'AI : « seuls peuvent demander à faire examiner un cas de rigueur des adultes exerçant une activité lucrative ou capables d’accomplir leurs travaux habituels et ayant droit à un remboursement forfaitaire par l’AI de leur appareil auditif conformément à l’expertise médicale de l’ORL ». En clair, une personne qui exerce une activité lucrative, qui est en formation, en recherche d’emploi ou qui accomplit des travaux habituels (éducation d’un enfant et/ou les activités usuelles d’une vie à domicile).

Quant au seuil auditif donnant droit à un remboursement par l’AI, « il correspond à une perte auditive de 20 % », confirme Harald Sohns, porte-parole à l'Office fédéral des assurances sociales (OFAS). Hélas, ce n'est pas si simple, comme l'explique Monique Richoz, directrice de Pro Infirmis Vaud: « nous avons dénoncé la situation de deux travailleurs malentendants à l’Office AI du Canton de Vaud, qui avait reconnu le financement de base mais refusé le cas de rigueur au motif que les personnes ne remplissaient pas les critères audiologiques contenus dans la circulaire 304 et que leur profession n'était pas particulièrement exigeante sur le plan de la communication verbale. Alors que le premier cas concernait un chauffeur de taxi et le second une caissière de grande surface. »

La directrice poursuit : « Pro Infirmis a porté ces deux cas devant le conseil de l'AI. Depuis, il n'y a plus d’appréciation par rapport à l'activité professionnelle de la personne. En revanche, les critères audiologiques restent. Or, la circulaire 304 précise que l'AI examinera en permanence ces critères, dès lors qu'il n'y a pas encore de valeurs empiriques disponibles. C'est bien la preuve que le législateur est conscient que ces critères ne sont pas solides et qu'il faudrait les changer ».

Et Pro Infirmis s'active dans ce sens. « Nous voulons faire évoluer ces critères audiologiques afin que les travailleurs malentendants n'aient plus à financer de 4'000 à 5'000 francs pour les appareils auditifs leur permettant de travailler », relève la directrice cantonale. Pour elle : « il s'agit d'abord de défendre les travailleurs malentendants, en lien avec les 5ème et 6ème révisions de la LAI, basée sur la réinsertion professionnelle, et, dans un 2ème temps, de faire bénéficier toutes les personnes malentendantes de cette correction. »

Augmentation des cas de rigueur

La statistique de l'OFAS ne prenant en compte que les cas de rigueur pour lesquels le remboursement a été accordé, il ne nous a pas été possible d’obtenir des chiffres au sujet du nombre de demandes qui ont été déposées sur l'ensemble du pays. Cependant, de juillet 2011 à septembre 2015, 770 cas de rigueur ont été financés par l’AI. « Le premier cas de rigueur n’est toutefois arrivé qu’en 2012 », note M. Sohns. Six demandes pour des cas de rigueur auraient été acceptées par l'AI en 2012, 99 en 2013 et 295 en 2014. Le chiffre serait de 370 cas acceptés pour la période de janvier à septembre 2015.

« Dans notre office les cas de rigueur figurent sous le même code statistique que les appareils acoustiques « classiques » de sorte qu’il n'est pas possible de les identifier, constate Cédric Girardin, Chef du secteur prestations générales de l'Office de l'Assurance-Invalidité du canton de Neuchâtel. Cependant, nous estimons le nombre de demandes pour cas de rigueur à une quinzaine et toutes ont été acceptées. » Selon Julien Garda, responsable de la division des prestations spécifiques de l'Office de l’AI, sur les 27 demandes déposées à Genève, 12 ont été refusées, 7 acceptées et 8 demandes seraient en cours d’instruction. Dans le canton de Vaud, 103 demandes ont été déposées depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle règle. « Seize dossiers ont été refusés et 36 demandes sont toujours en cours », révèle Dominique Dorthe, chef du service Communication et relations publiques de l'Office vaudois de l'assurance-invalidité. A noter qu'une des demandes vaudoises en suspens a été déposée en 2014.

C'est dire si la lenteur de la procédure peut être décourageante, comme le confirme Alantu Lescure, assistant social à L’Association Genevoise des Malentendants (AGM) : « La principale difficulté pour les bénéficiaires est ce délai d'attente, souvent très long, sans assurance de réussite. Cela met tout le monde dans une position inconfortable. Il arrive que l’audioprothésiste ne soit pas payé durant un an et au bout d'un moment, il mettra la pression sur la personne malentendante. Il arrive même que l'audioprothésiste demande à la personne de restituer les appareils. »

Des critères contradictoires

« Sur les trois procédures que je gère, une a abouti positivement, note Alantu Lescure. Nous avons porté la seconde devant la cour de justice de la République et canton de Genève, à la chambre des assurances sociales, il y a neuf mois, car l'AI a refusé notre opposition à son premier refus d'entrer en matière. La troisième demande est en cours. Le dossier qui est au tribunal a été refusé au motif que la personne n'a pas rencontré de problèmes lors de l'adaptation. »

L'assistant social genevois continue: « J'avoue avoir des problèmes à comprendre ce qu'ils entendent par là. Ce d'autant plus que la première demande que j'ai accompagnée et qui n'a pris que deux mois (ndlr : un record de rapidité) pour recevoir une réponse positive de l'AI, concernait un cas très similaire à celui de ce monsieur. Les deux personnes travaillent et remplissent les critères audiologiques pour une demande de cas de rigueur. » Avec ce nouveau cas, l'AGM espère faire jurisprudence.

Mêmes problèmes d'incohérence dans le canton de Vaud : « le service de consultation sociale de Pro Infirmis a déposé environ 25 demandes de cas de rigueur depuis l’entrée en vigueur des forfaits, explique une travailleuse sociale. Le motif « occupé à des travaux habituels » de la loi doit être défendu. Concernant certains dossiers, nous avons déposé une opposition pour défendre les travaux habituels, car même si la personne n’exerce pas une activité lucrative, elle mène une vie de famille, amicale et participe à des activités sportives et associatives. Il nous parait important qu’elle soit munie d’un appareillage adéquat pour des raisons de sécurité. Il nous semble primordial que chaque personne gravement malentendante porte un appareillage de qualité pour maintenir des liens et des rapports humains, qui passent par la communication, afin d’éviter l’inconfort relationnel, le repli et l’isolement social. »

« Nous refusons les cas de rigueur pour différents motifs, répond M. Garda. Par exemple parce que l’assuré désire acquérir un nouvel appareil de dernière technologie, ou dans le cas où la personne assurée acquiert des appareils qui ne sont pas réputés économiques, simples et adéquats, par exemple lors d’acquisition d’appareils intra-auriculaires en lieu et place de contours d’oreille. »

Interrogé sur les motifs de refus, l'OFAS nous renvoie au formulaire 304. Pourtant, le docteur Pascal Senn, médecin adjoint au service ORL et chirurgie cervico-faciale des HUG, expert mandaté par l'OFAS, (l'expert vaudois n'a pas répondu à nos questions) révèle: «Nous ne recevons pas systématiquement un retour de l’AI. Ce sont les patients qui nous informent du résultat de leur demande. J'ai entendu que l'AI ne prenait pas en charge les appareils intra canaliculaires, ce qui n’est pas un critère défini par le circulaire 304. Je ne sais donc pas si c'est légal. »

 

 

[zone]Comment déposer une demande de cas de rigueur

Discutez avec votre ORL et/ou avec votre audioprothésiste pour savoir si vous remplissez les critères de cas de rigueur. Si tel est le cas, voici les documents à préparer (demandés par l’AI) :

- une motivation écrite de votre demande

- un rapport du fournisseur d’appareils auditifs concernant les problèmes rencontrés lors de l’adaptation. L'information du droit au cas de rigueur est parfois donnée par l'audioprothésiste. Mais cela semble assez rare. « Nous constatons que les personnes sourdes ou malentendantes ne sont pas suffisamment informées de la procédure de demande de cas de rigueur. Une personne, exerçant la profession de vendeur dans une grande surface n’avait pas été informée par son acousticien de cette possibilité ; celui-ci avait omis de lui en parler. Nous avons pu in extremis déposer une demande », explique la travailleuse sociale de Pro Infirmis. Un audioprothésiste qui souhaite rester anonyme confirme : « les demandes en cas de rigueur sont assez exceptionnelles. La demande part souvent depuis l’ORL.»

- un journal complété (que vous trouverez à l'adresse www.avs-ai.info). La première partie du journal concerne les informations générales et la seconde est une description des problèmes rencontrés avec le ou les appareils auditifs, durant la phase de test. « Le journal de bord que l’assuré doit remplir a été simplifié », remarque M. Sohns de l'OFAS. « Après avoir procédé à l’examen, la clinique ORL fait une recommandation à l’office AI. Si, dans sa recommandation, la clinique ORL conclut à l’existence d’un cas de rigueur, l’office AI décide sur cette base s’il accède ou non à la demande de l’assuré et, dans l’affirmative, du montant des surcoûts pris en charge », souligne Cédric Girardin de l’office AI neuchâtelois. A Genève, l’office AI enverra la personne auprès d’une des cliniques ORL mandatées par l’OFAS pour effectuer une seconde expertise qui déterminera si le dossier entre dans les critères médico-audiologiques des cas de rigueur. La clinique enverra son rapport à l’office AI qui se prononcera sur la suite à donner à la demande (refus ou acceptation). « Afin de définir si c'est un cas de rigueur, nous nous appuyons sur tous les critères de la circulaire 304, développe le Dr Senn. Nous testons tous les points de la liste afin de juger si chaque critère est rempli ou pas. »

Bien que le cas de rigueur soit un droit pour autant que la personne malentendante remplisse les critères cités dans la circulaire 304, la procédure est longue et difficile. Rien n'est fait pour encourager les demandes. Il ne faut donc pas hésiter à demander de l'aide aux associations qui peuvent accompagner les bénéficiaires dans leurs démarches.[/zone]

 

Dossier réalisé par Marie-France Martinez