Publié le: 15 janvier 2015

Claire Merlin, ou l’art d’enchanter le handicap dans le monde du travail

Claire Merlin, ou l’art d’enchanter le handicap dans le monde du travail

Atteinte d’une importante déficience auditive, Claire Merlin, mère de famille, universitaire, militante associative et syndicale, incarne mieux que personne l’art de rebondir. Elle vient de fonder, dans sa ville de la région parisienne, un cabinet de conseil destiné à aider les entreprises à améliorer l’intégration des personnes handicapées.

Certaines expériences peuvent être plus marquantes que d’autres. Celle de Claire Merlin l’est incontestablement. Âgée aujourd’hui de 51 ans, cette Parisienne présente en effet un parcours atypique. Celui d’une malentendante, qui a longtemps travaillé dans… une entreprise de télécommunications, France-Télécom, qui plus est à une période charnière de la vie de cette gigantesque société. « Après un intérim, j’ai été engagée à France Télécom en 1997, à une période de changement structurel, puisque la privatisation de l’entreprise venait d’être votée », raconte celle qui fut recrutée comme assistante de direction, mais dont le poste, à la faveur des restructurations annoncées, était voué à disparaître.

A l’époque, le nouveau métier en vogue est celui de conseiller-client. L’opportunité pour Claire Merlin de rebondir au sein de l’entreprise et d’éviter la perte de son emploi. Sauf que dans l’intervalle, nous sommes en 2002, elle se voit diagnostiquer une perte auditive bilatérale. « J’étais moi-même dans le déni de ma surdité, observe-t-elle aujourd’hui. J’ai donc postulé à un poste de conseillère-client, et le plus incroyable, c’est que je l’ai obtenu, sachant que je n’avais rien fait pour cacher ma surdité ! »

Au départ, la nouvelle conseillère fait preuve d’une adaptabilité impressionnante. Très bonne en orthographe, rapide dans l’exécution de ses tâches, elle compense sa perte auditive en collant le combiné téléphonique à son oreille, et ses performances professionnelles sont excellentes, alors qu’elle n’est même pas appareillée. Seulement voilà : la réalité reprend vite ses droits, et Claire Merlin s’épuise à petit feu, atteinte en outre d’acouphènes chroniques particulièrement insupportables. Au bout de 18 mois d’efforts, et malgré le fait qu’elle ait enfin décidé de s’appareiller, elle s’écroule, victime d’un violent burnout.

Capacité de parole

Mais cette femme pleine de ressources n’abdique pas. Malgré des arrêts de travail réguliers, elle « prend conscience de sa capacité de parole » et s’engage sur le plan syndical en devenant administratrice de l’ATHA, l’Association des travailleurs handicapés et/ou reclassés de la Poste et Orange, alors qu’au sein de son entreprise, sa situation ne s’améliore guère. « Je n’y étais pas écoutée, et rien n’était fait pour prendre en compte mon handicap », se souvient-elle. « C’était vraiment un comble, puisqu’un manager a même affiché au-dessus de mon bureau un poster sur les produits dédiés aux clients handicapés, et que j’apportais mes conseils à l’entreprise pour tester des solutions pour personnes déficientes auditives ».

Malgré les difficultés, et comme pour mieux affronter l’adversité, Claire Merlin décide en outre de… reprendre des études, en octobre 2006. « Je ressentais tellement de rage d’avoir été si mal considérée au moment où ma déficience auditive s’est déclarée, que j’ai mis toute mon énergie dans ces études ». Résultat : en 2008, elle décroche, avec mention très bien, un premier master en Hautes études pratiques et sociales à l’Université de la Sorbonne, sur une thématique tout à fait d’actualité, celle du « Discours cadre sur les personnes handicapées ».

Et ce n’est pas fini : une année plus tard, notre résiliente à la volonté de fer obtient un second master, en psychosociologie, cette fois à l’Université Paris-Diderot, alors qu’elle publie, en 2010, « Sourde en centres d’appels » un ouvrage qui raconte son expérience unique au sein de France-Télécom.

 « Au fond, le handicap a toujours fait partie de ma vie », observe-t-elle pour expliquer l’ampleur de son engagement. « Mon père était déficient auditif, ma mère souffrait d’une arthrose des hanches, et moi-même je suis devenue déficiente auditive ! Et puis la lutte contre l’individualisme fait partie de ma façon d’être. Les valeurs fondamentales de solidarité transmises par ma mère ont toujours représenté mon socle vital. Et c’est d’autant plus important que je suis mère de trois enfants. »

Accompagnement microsocial

2013 représente l’étape ultime et la suite logique de ce parcours unique, marqué par l’effort, la fierté retrouvée et la réappropriation de l’estime de soi. Riche de son expérience personnelle, professionnelle et associative, forte de ses diplômes, Claire Merlin décide de sauter le pas et s’installe à son compte comme consultante. « Toutes les années passées aux études m’ont permis de bien réfléchir à mon projet. Ce qui manque aux personnes handicapées, souvent touchées de plein fouet par le chômage, c’est un accompagnement microsocial qui permette leur intégration professionnelle».

Elle fonde alors RECIT’H, une structure de médiation et de coaching destinée aux entreprises et aux organisations et fondée sur un concept de son invention, la « distanciation intégrante ». « Ma force, ce sont mes neurones, ma capacité à ne pas crier, à critiquer de manière constructive, témoigner et proposer. Dans la vie, il faut savoir lâcher certaines choses pour en regagner d’autres », conclut ainsi avec philosophie, celle qui est également administratrice de l’ADAPT (Association pour l’Insertion Sociale et Professionnelle des personnes handicapées), ainsi que conseillère municipale dans sa ville de Bussy-Saint-Georges, une cité de 27'000 habitants tout de même. Son domaine d’action : le handicap, bien sûr !

« Sourde en centres d’appels, plaidoyer pour une Distanciation Intégrative envers les personnes en situation de handicap », éditions l’Harmattan, 2010. http://sourdeencentresdappels.merlinerie.com

RECIT’H, cabinet de conseil. Remettre en sens, Ecouter, Comprendre, InTégrer le Handicap. www.recith.fr