Publié le: 09 janvier 2014

Comment l’audition est (re)venue à moi…

Comment l’audition est (re)venue à moi…

« Journal de ma nouvelle oreille » est un « monologue fleuri » signé Isabelle Fruchart. Malentendante, l’artiste parisienne y raconte les émois de la redécouverte de son audition, suite à son appareillage. A découvrir au Théâtre Vidy-Lausanne du 11 au 22 mars prochains…

Elle a été artiste dans l’âme, avant même de devenir malentendante. Toute petite déjà, Isabelle Fruchart fait du théâtre, de la danse, du chant. Une vocation et une inspiration artistiques venues de très loin et qui la poussent à faire sa première mise en scène, quand elle n’a que… 8 ans. Seulement voilà. Il était écrit que son destin n’aurait su se jouer sous l’unique sceau du théâtre. A l’âge de 14 ans, elle contracte une méchante sinusite, avec pour résultat une perte auditive de 70% au niveau de chaque oreille, particulièrement marquée pour les sons aigus.

Ironie du sort, sa perte auditive passe inaperçue. Car dans la foulée, Isabelle a fait ce qu’elle a toujours su faire: s’adapter. « L’organisme déploie des merveilles d’adaptation et j’ai tout simplement appris à écouter et compenser avec mes autres sens, se souvient-elle. J’ai donné le change, autant par déni que par manque de prise de conscience, et j’ai même réussi à aller à la fac ». Tribut de ce handicap caché, la jeune femme passe aux yeux de tous pour un être étrange, une sorte de poétesse égarée dans sa bulle.

Enfin, un diagnostic

Et c’est là que survient un des tournants majeurs de sa vie: à l’âge de 26 ans, sa perte auditive est enfin diagnostiquée. Un diagnostic qui suscite non pas l’inquiétude mais un incontestable soulagement. « Cela a été une révélation pour moi, admet-elle en souriant. La révélation du fait que je n’étais pas bizarre psychologiquement, mais que j’avais un problème dans ma réalité physiologique ».

11 ans plus tard, deuxième tournant majeur: Isabelle Fruchart est enfin… appareillée. Aussi incroyable que cela puisse paraître, son ORL lui avait déconseillé tout appareillage, les dispositifs de l’époque étant jugés peu performants. « Je me suis alors tournée vers les médecines parallèles, mais en réalité je crois que je ne voulais pas affronter la chose, je me considérais plus forte que ça !» Sauf que, la perte auditive et les mécanismes adaptatifs ayant les conséquences que l’on sait, la jeune femme commence à fatiguer. Et sérieusement. A l’instigation de son compagnon, la voilà qui reprend rendez-vous chez son ORL…. 8 ans après leur dernière entrevue. Elle est alors âgée de… 37 ans.

« Désormais, des appareils numériques sont disponibles, lui conseille le médecin. Vous ne perdez rien à essayer. » Pour la jeune artiste, le conseil est de bon aloi. Arrivée « au bout de ce qu’elle pouvait faire par elle-même, épuisée de devoir toujours faire des efforts et renoncer », elle décide de tenter l’expérience. Et là, l’effet est tout simplement incroyable: « dès les premières secondes, cela a été extraordinaire ! Ma vie a d’un coup été bouleversée. J’entendais ! Très vite, au fur et à mesure des premiers mois d’initiation à l’appareillage, elle découvre des sons oubliés ».

Journal intime

Heureusement, en parallèle de ce parcours, vit toujours l’artiste. La femme qui danse, chante, fait du théâtre et écrit. Ainsi, l’expérience unique de la réappropriation de ses facultés auditives la conduit immédiatement à coucher sur le papier son vécu. D’abord sous la forme d’un journal intime destiné à son usage personnel.

Mais comme souvent dans la vie, les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu. « Avec le retour de mes facultés auditives, raconte Isabelle, j’ai découvert la radio. Et je me suis dit: j’adore ça, je veux en faire ! » Lui vient alors l’idée d’adapter son journal pour la radio. Et c’est lors d’une séance de lecture à la maison qu’un ami décide de transmettre le texte à l’actrice française Zabou Breitman. Emballée, l’artiste décide d’en faire un spectacle. Le « Journal de ma nouvelle oreille » venait de naître.

Mais attention. Ce spectacle qui raconte une expérience hors du commun n’est de loin pas destiné qu’aux malentendants. « Je me rends compte que ce spectacle s’adresse avant tout à ceux qui entendent, constate Isabelle. Alors bien sûr, s’il peut pousser les malentendants à prendre conscience de l’importance de l’appareillage, c’est tant mieux. Mais au fond, c’est un spectacle qui évoque l’écoute au sens général, la relation au monde extérieur à travers les oreilles. Il s’agit d’un objet poétique qui raconte un chemin, une transformation, la manière dont, d’un handicap on fait une source de vie, de création ».

« Journal de ma nouvelle oreille », un monologue fleuri d’Isabelle Fruchart. Adaptation et mise en scène de Zabou Breitman. Au Théâtre Vidy-Lausanne (Avenue Jaques-Dalcroze 5) du 11 au 22 mars 2014. www.vidy.ch La salle est équipée d’une boucle magnétique.

ChA

 

[zone]Saveur du mot « audition »
«Une voix parle et c’est la mienne. J’entends ma voix. En dolby stéréo à travers les micros. J’entends ma voix. Mais alors, avant, je ne m’entendais pas ? Je vais enfin pouvoir m’écouter. C’est la première chose que je me dis.» Qu’entend-on exactement ? Qu’entendent les autres ? Pourquoi entend-on mieux quand on ferme les yeux, sauf elle, qui entend tellement bien par les yeux ? « Journal de ma nouvelle oreille » suit pas à pas les sensations de sa nouvelle écoute du monde et d’elle-même. Isabelle Fruchart y livre la redécouverte des sons de la pluie, des paroles de chansons, des papiers qu’on froisse, des violons, des feuilletons radios, des chuchotements de l’amour, de l’eau sur la vaisselle, elle nous raconte ses progrès et ses déceptions, jour après jour, à travers les pages de son journal, le journal d’une comédienne qui réalise avec émerveillement toute la saveur du mot «audition».[/zone]

 

 

Légende photo : AE67_Volante_Journal_1 : Isabelle Fruchart, un chemin poétique vers la restauration de l’audition DR