Publié le: 27 septembre 2021

« Entendre avec son cœur est plus essentiel qu’entendre avec ses oreilles »

« Entendre avec son cœur est plus essentiel qu’entendre avec ses oreilles »

Devenue malentendante à l’âge de 25 ans suite à une otospongiose, la comédienne française Zoé Besmond de Senneville raconte dans son « Journal de mes oreilles » le long chemin qui l’a conduite à accepter son handicap.

En vous lisant, on a le sentiment que le statut de personne officiellement handicapée en raison de votre surdité a été particulièrement difficile à accepter…
C’est vrai et c’est probablement lié à mon âge mais aussi à mon éducation. J’ai été éduquée dans une famille catholique et j’ai étudié dans un établissement catholique où la notion du devoir accompli est toujours très importante. Ajoutez-y que nous vivons dans des sociétés où l’injonction à toujours être très performant ne les rend pas très compatibles avec le handicap. Et puis enfin, il y a aussi mon métier d’actrice et de comédienne qui joue sur ce registre, avec les 5 sens qui doivent toujours être infaillibles.

Comment expliquez-vous la puissance des sentiments de honte et de culpabilité que vous avez ressentis ?
Lorsqu’on devient malentendant, on vous suggère de ne pas en parler puisque ce handicap est invisible, ce qui induit de la culpabilité. Le résultat c’est qu’on n’a plus d’interlocuteur, personne à qui s’identifier, à qui se confier, à qui dire que l’on n’est pas content de son médecin, de son audioprothésiste…

Les médecins n’ont pas su être vos interlocuteurs ?
La première fois été que j’ai été confrontée à un ORL, je me suis dit : « ce n’est pas possible, quel manque d’intelligence de considération de l’humain » ! J’ai été choquée par l’étroitesse d’esprit dont les médecins faisaient preuve dans leur diagnostic sans chercher à aller plus loin que l’organe, sans faire de lien avec le reste du corps et ses mémoires. Bien sûr que la médecine peut faire beaucoup de choses et que parfois c’est bien, mais autant que possible, je renonce à voir les ORL car leur discours me plombe. Heureusement, j’ai beaucoup évolué grâce au yoga et aux thérapies alternatives…

Le rapport que vous établissez avec vos appareils auditifs est également très ambivalent, entre amour et haine…
J’ai une surdité mixte de perception et de transmission et j’ai l’impression que c’est plus compliqué à intégrer car au niveau restitution sonore par les appareils, cela donne des trucs très bizarres. Mais je m’y suis progressivement adaptée…

Vous avez donc fait la paix avec vos appareils ?
Non, même si ça va mieux.  Cela dit, dès que je peux les enlever je les enlève car ils me fatiguent… et qu’avec eux je n’ai pas un retour d’audition naturelle alors parfois, ça me saoule. J’entends avec eux mais je reste gênée…

Et avec vos oreilles, avez-vous réussi à faire la paix ?
De ce côté oui, ça va beaucoup mieux et même si de temps en temps on se dispute encore un peu, je leur fais beaucoup moins la guerre. Je rêve encore de guérison miraculeuse mais j’accepte que cela prendra du temps. Et sur ce chemin il se passe de très belles choses. Je pense que oui, la maladie va me mener vers la guérison même si celle-ci peut être le chemin de toute une vie. Elle mène le corps vers quelque chose de plus profond. Et on se dit qu’il y a des choses plus essentielles qu’entendre parfaitement, comme entendre avec le cœur!

Vous attendiez-vous au succès de votre livre ?
J’ai écrit ce que j’avais en moi car je ne pouvais plus me taire. Mais je suis très contente que cela ait pu faire du bien ! J’ai conscience que cela peut aider les autres car dès sa parution, j’ai reçu beaucoup de messages auxquels j’ai d’ailleurs plupart du temps répondu. Beaucoup de gens m’ont dit : « Je vais l’offrir à mon conjoint, comme ça il comprendra ce que je vis ! » Recevoir ce genre de message, il n’y a rien de plus extraordinaire !

Et à vous qu’a-t-il apporté ?
Eh bien justement, publier mon récit m’a permis de trouver des interlocuteurs. Et c’est à ce moment-là que j’ai pu me dire que je n’étais pas folle de ressentir ce que je ressentais!

« Journal de mes oreilles » récit, Zoé Besmond de Senneville, éditions Flammarion, 2021. En pièce de théâtre en 2022.