Publié le: 31 mars 2021

Marie-Lise Richard : «Bienheureux, mon handicap!»

Marie-Lise Richard : «Bienheureux, mon handicap!»

Toute sa vie, Marie-Lise Richard l’a consacrée au service des autres. Mais pour cette Genevoise, malentendante sévère de naissance et aujourd’hui âgée de 80 ans, le chemin a été bien long pour arriver, enfin, à exercer le métier de ses rêves : infirmière. Récit d’un parcours hors norme fait de volonté, de foi et de travail acharné.

Une incroyable volonté et une foi inébranlable. C’est sur ces deux piliers que Marie-Lise Richard, née il y a près de 80 ans, a fondé toute sa vie. Une vie qui a démarré à Genève, au sein d’une famille modeste mais très aimante. Née prématurée de six mois, la petite Marie-Lise est très malentendante, quasi-sourde de ses deux oreilles. Évidemment son handicap passe d’abord inaperçu, faisant face au scepticisme des médecins et d’une responsable qui s’occupait d’elle au jardin d’enfant. Devant l’évidence, ses parents l’inscrivent à la célèbre Ecole de Montbrillant, consacrée aux « sourds-muets » comme on le disait à l’époque. C’est là qu’avec l’aide bienveillante de la fondatrice de l’école Melle  Graf, elle apprend à parler, et surtout à lire sur les lèvres, une aptitude qui lui sera utile toute au long de sa vie.

Si ses progrès en termes de capacité à communiquer sont indéniables et considérables, ses parents s’inquiètent en revanche de la faiblesse des autres connaissances acquises. « Et pour cause, tout notre temps était consacré à apprendre à parler, se souvient-elle. Il ne restait pas beaucoup de possibilités pour apprendre autre chose ».

Tâtonnements

Faisant fi des jugements défavorables, ses parents prennent alors la décision de l’inscrire dans une école privée, l’Externat Sainte-Marie où ne sont scolarisés que des enfants entendants. Malgré l’antique appareil à cordon dont elle est équipée, malgré l’aide de la lecture labiale, son apprentissage est très ardu avec des résultats très décevants : « J’avais beaucoup à rattraper, en grammaire, en mathématiques. C’était très difficile, mais cela a eu un très grand mérite : m’ancrer dans le monde des entendants ».

A l’âge de 16 ans, ses parents la placent alors à l’Ecole des Beaux-Arts, aux Emaux de Genève, qu’elle finit en dépit de sa fibre artistique, par arrêter au bout de 3 années, faute de perspectives professionnelles. Et puis il faut le dire clairement, son cœur bat en réalité pour autre chose, pour le monde du soin, elle qui en son for intérieur rêve d’exercer une profession dans le médical ou le paramédical. Elle commence alors à frapper à toutes les portes des écoles d’infirmières, pédicures etc. Invariablement toujours la même réponse. Non à cause de votre surdité et du fait que vous ne détenez pas la maturité. Ses parents lui décrochent alors une place en apprentissage en photographie industrielle, non sans suivre en parallèle, un cours de Samaritain.

Sauf qu’un jour, sa mère découvre une lettre dans laquelle elle avouait ne pas aimer la photographie. Très à l’écoute, elle fait alors tout pour inscrire sa fille à Lausanne, dans une formation d’infirmière-assistante. A force de travail, de volonté et de passion, elle en sort diplômée cette fois et classée première : « C’était une première victoire, sourit-elle encore aujourd’hui en y pensant. J’étais tellement heureuse d’avoir réussi cette formation et tout cela grâce à la lecture labiale ».

Infirmière, enfin !

Elle travaille ensuite à Yverdon dans un Hôpital spécialisé dans les maladies chroniques, puis au bout de deux ans dans la célèbre clinique de Bois-Cerf, qui gère également une école d’infirmière. Persévérante, la jeune Marie-Lise approche de son but, mais n’y est pas encore.  Et comme souvent dans sa vie, c’est une rencontre qui décidera de la suite de son destin : car l’infirmière-chef ainsi deux patients influents dont elle s’est occupée en tant qu’infirmière-assistante intercèdent auprès de la directrice de l’école pour qu’elle y soit admise en formation. Malgré un examen d’entrée aux résultats décevants, faute d’une culture générale dont elle ne disposait pas encore, malgré l’opposition farouche de la Croix-rouge, elle finit par y être admise en 1967, à l’essai pour les six mois.

Mais la magie opère. Marie-Lise est cette fois totalement dans son élément et réussit brillamment ses premiers examens, classée 1ère sur 25 élèves. En 1969 la voici donc officiellement infirmière diplômée. « Quand on veut, on peut, et avec la grâce de Dieu, on peut » commente aujourd’hui celle qui attribue sa réussite à une foi sans faille et à la magie de rencontres qui à chaque fois lui ont permis de se frayer un chemin vers son objectif.

Sa première expérience à l’hôpital cantonal de Genève en raison des veilles, et des difficultés liées à sa surdité. « Je passais mes nuits à faire les 100 pas dans les couloirs pour voir les alarmes lumineuses, alors même que les chambres communes étaient dénuées d’éclairage. » Elle décide alors de démissionner et de refuser des postes de nuits en soins intensifs et aux urgences à cause, déjà, des masques chirurgicaux.

C’est là encore qu’un malade qui lui propose de participer à la construction et la mise en route du futur foyer Saint-Paul pour personnes âgées. Elle se forme et occupe le poste de sous-directrice et d’animations.

Foi chrétienne

Mais une fois de plus, sa bonne étoile veille sur elle. Sur les conseils de sa famille, elle postule à un poste d’animatrice au Service social de la Ville de Genève. Et non seulement elle y est engagée, mais, sur la foi de ses diplômes, en tant… qu’infirmière-responsable au centre médical du Seujet, un quartier au cœur de Genève. Cette fois, ça y est : Marie-Lise occupe la fonction qui lui convient pleinement, et elle y restera 27 ans, jusqu’à sa retraite.

« La surdité est un handicap de la communication et j’ai choisi une profession d’écoute, ce qui me demandait une attention constante, se souvient-elle. Comme je profitais pleinement de mes heures de repos car j’étais épuisée, j’ai été coupée de toute vie sociale. Durant mes 18 dernières années de travail j’ai obtenu de pouvoir réduire mon taux de travail à 90% »

Pourtant, cela n’empêche pas cette curieuse de nature de suivre de nombreuses formations en médecines parallèles, mais également durant 3 années, de diriger l’Association Genevoise des Malentendants au service de laquelle elle mettra son énergie, son entregent et sa créativité.

Son exceptionnelle réussite, au-delà d’une pugnacité qu’elle attribue à « sa foi et sa spiritualité chrétiennes », cette belle nature qui n’a jamais souhaité fonder de famille pour se consacrer aux autres reconnaît la devoir à des « parents formidables » mais aussi à la chance « d’avoir rencontré les personnes qu’il fallait au moment où il le fallait ».

Mais elle va même plus loin : « J’ai 80 ans et je ne regrette rien, je suis pleine de reconnaissance et c’est bien ce qui est apaisant. Bienheureux finalement ce handicap, car si je ne l’avais pas eu, je ne sais pas si j’aurais fait tout ce chemin ».