Publié le: 29 avril 2019

N’est pas reconnu qui veut !

N’est pas reconnu qui veut !

Posséder de nombreux diplômes et être malentendant rime avec refus d’emplois en tous genres. Témoignage avec Marco Ecclesia.

Aujourd’hui conseiller en personnel ORP, le valaisan de souche italo-espagnole, Marco Ecclesia, né en 1979 à Sion, subit une presbyacousie bilatérale dégénérative ; il est donc appareillé à l’âge de cinq ans. On découvrira ultérieurement une dyslexie auditive, soit un trouble du traitement auditif central. « Les sons n’arrivent pas en relief ; ils se mélangent entre eux, mais j’ai toujours eu une bonne élocution même avec un degré de surdité d’environ 90%. Passé outre l’insensibilité et l’indifférence de certains maîtres de classe, j’ai dû bûcher sans support internet, logiciel de présentation, ni codeuse LPC et avec un champs lexical insuffisant en bas âge. J’ai naturellement apprivoisé la lecture labiale depuis tout jeune, avec mes propres ressources ».

Au fil des ans, Marco a développé son intuition, son ressenti, son sens de l’observation, comme l’expression du regard de ses interlocuteurs ou leur gestuelle avec une faculté tout déductive.

Diplômes et malentendance ne font pas bon ménage
L’obtention de son certificat de fin d’école obligatoire sera le tout premier d’une longue série. Dans un premier temps, l’adolescent suit son gymnase en langues modernes, rien de moins, puis l’interrompt même avec une bonne moyenne, pour privilégier un apprentissage d’employé de commerce et être dans la pratique. Diplôme en main, il se consacre à la « matu pro » avant d’entrer à la Haute école Spécialisée de Suisse occidentale, HES-SO Valais-Wallis, pour un cursus en économie d’entreprise.

Il obtient également un MBA (Master of Business Administration), ainsi qu’un Bachelor en psychologie. « Ces cours à distance m’ont permis d’étudier à mon rythme et dans le calme ».

Entre ses longues études, Marco fait un break en Australie, le temps de suivre des cours d’anglais avant de partir seul à l’aventure sac à dos. « Pour m’aider, j’apprenais la phonétique de chaque mot puisé dans le dictionnaire » ; il faut dire que Marco s’est toujours surpassé durant ses études, qu’il suit bon gré mal gré, par esprit de revanche sur son handicap et sur l’intolérance d’autrui face à sa différence. « Je me suis retrouvé dans une école avec un autre malentendant appareillé subissant une perte d’environ 40%. Comme ce handicap ne se voit pas et qu’une personne extérieure ne peut quantifier l’ampleur de la malaudition, certains professeurs nous ont placés dans le même panier, persuadés que notre niveau d’écoute devait être le même, tout comme notre appareillage ; mais l’appareil ne fait pas le malentendant ! ».

Une fois son Bachelor en poche, l’économiste se retrouve alors au chômage durant un an et demi. « J’ai postulé pour un nombre inimaginable de postes vacants, de la manutention à un niveau de cadre. J’ai essuyé de nombreux revers. Diplômé ou non, on jugeait plus mon handicap. J’ai enfin décroché un poste de coordinateur en finance et administration informatique à Genève ; ayant été tuyauté par mon propre frère. Cela m’a permis de prendre un peu confiance en mes capacités ».

« De mauvaise guerre »
En 2007, le couperet tombe : la surdité de Marco passe de 90 à 100%. Une étape très éprouvante ; en outre, l’entourage ne peut pas percevoir le changement. « J’avais également atteint le maximum en termes de capacité d’appareillage ».

A cette époque, l’implantation cochléaire est abordée par les audio prothésistes, mais Marco attendra dix années avant de se sentir prêt pour cette double opération et surtout pour l’accepter. Une longue période propice à l’introspection, durant laquelle il est étroitement soutenu par son épouse. « Lorsque les médecins évoquaient l’implant, j’estimais que c’était une atteinte à mon intégrité corporelle ».

Au niveau professionnel, Marco évolue tant bien que mal avec les limites que lui imposent sa surdité profonde à totale. Après être devenu sourd, une refonte de ses conceptions le mène à une réorientation dans la psychologie. « Il est plus aisé de côtoyer une personne à la fois lors d’entretiens par exemple. Lorsque j’étais confronté à un contact multidirectionnel, c’est-à-dire avec plusieurs personnes simultanément, les rapports en étaient altérés ». Comme jusqu’en 2015, lorsqu’ il donne régulièrement des conférences en Suisse romande et au Luxembourg.

Celles-ci portaient sur des modèles économiques égalitaires et d’inclusion pour les personnes malentendantes, avec un regard affûté sur la diversité humaine.

Inclusion, exclusion
Le Congrès de Milan, congrès international sur l’amélioration du sort des sourds-muets, affirme la supériorité de la méthode orale seule, soit le français articulé et la lecture labiale, sur la méthode utilisant la langue de signes, ainsi abolie en 1880.

« La source majeure d’économie des orthographes est avant tout phonographique. Toutes les langues contiennent des éléments qui rappellent jusqu’à un certain point au moins les syllabes ou les phonèmes de la langue qu’elles notent. Pour représenter des informations en relation avec l’expérience humaine, il semble que l’écriture doive, pour y parvenir, réanalyser des langues orales parlées. L’économie de l’orthographe s’inspire donc de celles des langues parlées. Pour rappel, la première écriture de Sumer est privilégiée par la dimension sémiographique.

La fonction majeure de l’orthographe n’est pas de noter avec précision la prononciation. En créant des éléments homologues à ceux de l’oral, eux-mêmes au service d’un message, l’orthographe cherche à saisir le principe d’une structure formelle capable de véhiculer du sens. (Propos signés par Jean-Pierre Jaffré dans son livre « L’orthographe du français, une exception ?).

« En tout état de cause, l’abolition de la langue des signes durera 100 ans, engendrant la paupérisation des malentendants et une grave forme d’exclusion. Au figuré, les personnes en difficulté portent leur regard sur les personnes en « non difficulté », qui elles-mêmes regardent dans une autre direction. Pour moi, cela constitue le problème de l’inclusion ».

Renaissance
Si la double implantation cochléaire réalisée sur Marco en 2017 lui permet d’entendre des sons beaucoup plus précis, il s’appuie toujours autant sur les sens qu’il a développés et sur la lecture labiale.

Pour lui, qui vit avec son épouse et ses deux filles dans un cadre champêtre loin du brouhaha de la ville, sa vie privée et professionnelle s’est métamorphosée. « La double implantation cochléaire m’ouvre toutes les portes. J’entends à 85% des deux oreilles grâce aux vingt-deux électrodes qui stimulent mes nerfs auditifs ».

Après les expériences humaines douloureuses qu’il a vécues, après une longue introspection et après cette opération réussie, souhaitons à Marco un avenir velouté et doux à l’ouïe !

 

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