Publié le: 09 mai 2021

«Nous ne sommes pas démunis face aux acouphènes»

«Nous ne sommes pas démunis face aux acouphènes»

Professeure titulaire en audiologie à l’Ecole d’orthophonie et d’audiologie de l’Université de Montréal, Sylvie Hébert est l’auteure d’études pionnières sur l’évaluation psycho-acoustique des acouphènes et le stress et la détresse psychologiques qui leur sont associés. Elle vient de publier « Acouphènes, les reconnaître et les oublier » aux éditions du Rocher.

Pourquoi présentez-vous l’acouphène comme un phénomène hétérogène ?
Sylvie Hébert : Parce qu’il peut se manifester de différentes manières et chez des personnes très différentes. Et puis parce qu’il reste encore beaucoup à faire pour la science qui doit œuvrer à définir les différents types d’acouphènes, les différents mécanismes qui y sont impliqués ainsi que les différentes manifestations observées. On ne connaît pas encore très bien les acouphènes qui restent encore un grand défi pour la science.

Pourquoi la science a-t-elle si peu avancé sur la question des acouphènes ?
La première raison est que l’on ne s’y intéresse de manière neuroscientifique que depuis une vingtaine d’années environ. Dans le passé, on pensait d’ailleurs qu’il s’agissait juste d’un signal physique lié à une vibration du tympan. C’est ensuite le développement des techniques d’imagerie cérébrale qui a permis de montrer le rôle du cerveau dans la production des acouphènes. L’autre raison est financière : les recherches sur l’acouphène sont en compétition avec celles sur le cancer, le sida etc et il n’est pas toujours facile de lever des fonds pour cette problématique, même si aujourd’hui au Canada, on commence à avoir un corpus de recherche conséquent sur cette thématique. Enfin, il faut avouer que s’agissant d’un phénomène subjectif, il reste ardu à étudier…

Pourquoi décrivez-vous l’acouphène comme un « miroir de la perte auditive » ?
On s’est rendu compte que les fréquences les plus affectées par la perte d’audition constituaient des acouphènes, comme si ce que l’on n’entendait plus à l’extérieur était désormais produit par le cerveau. Ce constat est très important et implique une hypothèse : en en cas de privation sensorielle, le cerveau essaye de compenser en augmentant le signal neural…

Est-il possible d’avoir une perte auditive sans acouphènes ?
Cela peut arriver mais c’est très rare. En général, il y a toujours une perte auditive dite cachée. Ainsi, grâce aux nouveaux appareils qui évaluent l’audition jusqu’à 16000 hertz par exemple, on se rend compte que des personnes souffrant d’acouphènes ont en réalité une perte auditive mais passée inaperçue. Autre exemple : chez des souris, on a découvert que des cellules ciliées, normales au premier abord, présentaient en réalité des dommages au niveau des synapses, ce qui est là aussi en faveur d’une perte auditive cachée.

Pourquoi le diagnostic d’acouphène est-il difficile ?
Parce qu’il repose essentiellement sur ce que le patient va dire. Le médecin n’a aucune manière de prouver que quelqu’un a un acouphène, et si le patient ne l’exprime pas, il n’a d’ailleurs aucun moyen de le deviner. La verbalisation des patients est très importante car en plus, elle peut orienter le clinicien vers une cause ou une autre. Par exemple, un acouphène au niveau d’une seule oreille accompagné de vertiges ou de perte auditive évoquera une maladie de Ménière. Un acouphène pulsatile avec le rythme cardiaque orientera plutôt vers une cause organique vasculaire, etc.

Quand faut-il consulter pour un acouphène ?
Dès qu’il y a une inquiétude sur un son qui ne part pas, par exemple après une exposition à un bruit intense, ou bien si les sons empêchent de dormir. En général, les patients consultent quand les sons les empêchent de bien fonctionner dans la vie.

Entendre des acouphènes est-ce grave ?
Les acouphènes ne sont pas mortels et ne vont pas forcément s’aggraver. D’ailleurs 90% des personnes qui en ont ne s’en préoccupent pas, et seuls 1 à 2% les vivent comme un problème. Par contre ce qui est grave, c’est la question de la sensibilisation et de la prévention : selon une étude récente menée ici au Canada, et en raison d’expositions sonores trop élevées, 50% des jeunes de 19 à 24 ans ont eu un acouphène dans l’année qui a précédé le sondage. C’est énorme !

A l’heure actuelle, on ne peut pas faire disparaître les acouphènes. Vous dites qu’on peut en revanche en « reprendre le contrôle »…
Bien sûr, on n’est pas démunis face aux acouphènes. Souvent, commencer par corriger la perte auditive permet déjà d’améliorer la situation d’une manière globale. Et puis, si on ne peut pas enlever les sons dérangeants,  on peut faire en sorte que le cerveau apprenne à les ignorer, afin qu’ils n’interfèrent plus à 100% dans la conscience des personnes.

La dimension psychologique semble également très importante…
Plus que la sévérité des acouphènes, ce sont souvent les liens faits avec des pensées catastrophistes qui posent problème. La personne doit faire le deuil du silence total et cela peut prendre du temps pour accepter cette nouvelle condition, pour ne plus se focaliser sur l’acouphène, reprendre une vie sociale la plus large possible, puisque la perte auditive tend à isoler. Enfin, la recherche avance et offre de nouvelles perspectives : les thérapies sonores vont s’améliorer grâce aux possibilités croissantes offertes par les récents appareils auditifs, la neuromodulation de la plasticité cérébrale est aussi un espoir, etc.

 

Un livre en forme d’espoir

 

« Il n'y a rien à faire » et « Il faut apprendre à vivre avec » sont des phrases que les personnes acouphéniques ne connaissent que trop bien. Pourtant, pour ceux qui sont atteints d'acouphènes dérangeants (interférant avec les activités quotidiennes ou affectant la qualité de vie), il y a pourtant quelque chose à faire. L’ouvrage de Sylvie Hébert explique l’acouphène, qui et quand consulter et comment faire pour améliorer la situation, en offrant des techniques et des solutions pour briser l’isolement et donner de l’espoir à tous ceux qui souffrent dans le bourdonnement constant.
« Acouphènes, les reconnaître et les oublier. Le livre qui démystifie les bruits fantômes ». Editions du Rocher, mars 2020