Publié le: 15 janvier 2013

Révision de l’AI: un optimisme prudent

Révision de l’AI: un optimisme prudent

Parfois, il arrive que la politique réserve de divines surprises. Parti sur une orientation très préjudiciable aux personnes handicapées, le projet de révision 6b de l’AI a finalement fait l’objet d’une inflexion encourageante au Conseil national en décembre dernier. Sauf que rien n’est joué, et les organisations pour personnes handicapées doivent maintenir la pression.

Il y a encore six mois, l’inquiétude était perceptible. Aujourd’hui règne, pour reprendre les termes du communiqué de la DOK, la Conférence des organisations faîtières de l'aide privée aux personnes handicapées, « un optimisme prudent ». Il faut dire que l’inquiétude des dernières semaines se justifiait amplement. La réforme 6b de l’AI, dans les orientations proposées par le Conseil fédéral, ne promettait rien de bon aux personnes handicapées, dont les droits acquis étaient clairement remis en question (lire le numéro 59 du magazine aux écoutes).

Depuis quelques semaines cependant, les événements ont pris un tour plus favorable. Le premier signal positif est venu du nouveau Conseiller fédéral en charge du dossier, le socialiste Alain Berset qui, dans une interview donnée le 11 novembre dernier au Matin Dimanche, annonçait renoncer aux coupes prévues, dans les rentes pour enfants de personnes handicapées, estimant qu’il était « inutile de tirer trop fort sur la corde ».

Fort heureusement, la « corde » vient même d’obtenir un peu de lest supplémentaire, avec les dernières décisions prises en décembre dernier par le Conseil national. La chambre basse du parlement fait mieux que renoncer à diminuer les rentes pour enfants, puisqu’elle abandonne également l’idée de durcir l’accès à la rente, ainsi que le projet de limiter les frais de voyage pour personnes handicapées.

Eviter le pire

Et il y a encore mieux, puisque le Conseil national, sur proposition du PDC Christian Lohr, épargne les personnes dont le degré d’invalidité dépasse les 70%, qui devraient désormais avoir droit à une rente complète.

« Tous ces changements sont une belle surprise, même si le système tel qu’il se profile, est loin d’être parfait, résume Mélanie Sauvain, membre du comité de l’association « Non au démantèlement de l’AI ». Avec la proposition Lohr, on a au moins évité les pires cas de rigueur pour les personnes les plus handicapées. Et puis, c’est la philosophie même du projet qui a pris une meilleure direction. Désormais, la révision 6b vise la neutralité des coûts, plutôt que des économies à tout prix, et c’est déjà ça ».

De nombreux facteurs, rationnels et moins rationnels, concourent à expliquer ce changement d’orientation, alors qu’il y a quelques mois encore, c’était bel et bien un objectif « d’économies à la hache » qui était dans le viseur des autorités politiques. Il y a bien sûr, l’arrivée à la tête du Département fédéral de l’intérieur, d’un Conseiller fédéral socialiste, Alain Berset pour lequel il aurait été politiquement difficilement défendable de maintenir le dossier dans l’état où l’avait laissé son prédécesseur Didier Burkhalter, désormais aux affaires étrangères.
Chiffres noirs

Il y a aussi les chiffres de l’AI qui se sont considérablement améliorés, fruit, comme l’avaient déjà souligné avec véhémence les associations pour personnes handicapées, des précédentes réformes. Désormais, l’assurance invalidité affiche près d’un demi-milliard (!) de francs de bénéfices, alors que le nombre de nouvelles rentes a été divisé par deux en moins de 10 ans. Des résultats qui ne rendent donc ni urgent, ni même indispensable, un nouveau tour de vis dans la législation en vigueur.

Troisième élément, méconnu mais qui a dû jouer un rôle certain: le poids des cantons qui ont fait, discrètement mais efficacement connaître leur désapprobation face aux orientations précédentes. Et pour cause: comme nous l’avions écrit dans une précédente édition, ce sont eux qui auraient tout simplement dû passer à la caisse pour permettre aux personnes lâchées par l’AI d’échapper à l’indigence.

« C’est certain, reconnaît ainsi mezza vocce un responsable cantonal romand en charge des affaires sociales. Si la réforme était passée en l’état, elle se serait soldée par un report de charges sur les cantons. A se demander d’ailleurs à quoi servait encore une assurance fédérale, censée incarner une certaine solidarité nationale ! »

Mobilisation

Et puis enfin, il y a incontestablement la mobilisation des personnes handicapées, représentées par l’association « Non au démantèlement de l’AI ». Celle-ci fédère, et c’est une grande première, une cinquantaine d’organisations d’aide et de soutien aux personnes handicapées, et forom écoute en fait partie en tant que membre de soutien. « Le fait que nous ayons pu nous unir et prendre position d’une seule voix est incontestablement un gage de crédibilité et nous a donné un poids que nous n’avions pas, observe Mélanie Sauvain. Sans compter la menace de référendum qui se profilait. C’est donc bien la preuve que la mobilisation compte ! »

Le dernier élément qui a fait pencher la balance est à la fois politique, symbolique et fortement émotionnel. Né sans bras et avec des jambes malformées, le Conseiller national thurgovien Christian Lohr qui s’est longuement exprimé devant les parlementaires, est lui-même handicapé. « C’est clair, ma présence a dû jouer un rôle pour convaincre les autres parlementaires, explique-t-il, car quand je me suis exprimé, j’ai senti une réelle émotion. Mais il n’y avait pas que de l’émotionnel, j’ai également développé des arguments rationnels, qu’il s’agisse des finances ou du vécu des personnes handicapées. Expliquer qu’il n’était pas possible d’accepter une réduction des prestations pour les handicapés les plus graves n’est pas qu’un succès pour moi, ou pour les personnes handicapées. C’est important pour la Suisse et pour l’ensemble de la société ! »

Un essai à confirmer

Reste que les derniers développements ne représentent qu’une étape intermédiaire dans le processus législatif, et l’affaire est loin d’être définitivement gagnée. En mars prochain, après les travaux en commissions, c’est le Conseil des Etats qui devra statuer sur les dernières propositions. « Tout encore ouvert, le combat n’est pas terminé et le changement de direction amorcé doit être confirmé, avertit Mélanie Sauvain, membre du comité de l’association « Non au démantèlement de l’AI ». Des rebondissements sont toujours possibles et il est vraiment important que notre détermination et notre mobilisation demeurent intactes ! »

ChA