Publié le: 16 mai 2012

Tanya Al-Khudri: « oser pour ne jamais regretter »

Tanya Al-Khudri: « oser pour ne jamais regretter »

Anglaise par sa mère, tessinoise et irakienne par son père, Tanya Al-Khudri a vu le jour à Genève il y a 21 ans. Née sourde profonde, implantée à l’âge de 3 ans, cette jeune femme déterminée et enthousiaste suit des cours à la Haute Ecole de Santé de Genève pour devenir infirmière.

En novembre dernier, vous avez reçu le Prix aux élèves malentendants décerné par forom écoute. Une réaction ?

Oui, c’était pour ma maturité, et franchement j’ai été très surprise car je ne m’y attendais vraiment pas ! Sincèrement, cela m’a tellement fait chaud au cœur, que j’ai montré la lettre à tout le monde autour de moi. C’est une telle reconnaissance des efforts que j’ai consentis !

Votre parcours a-t-il été si difficile?

Quand on est malentendant, il faut vraiment beaucoup travailler, oser aller de l’avant et ne pas donner trop de crédit aux propos décourageants ! (rires)

Quels genres de propos ?

Depuis toute petite, je suis fascinée par le monde hospitalier et j’ai toujours voulu travailler dans le médical, devenir infirmière. Mais j’ai tellement souvent entendu: « arrête de rêver, il faut être réaliste, une sourde ne pourra jamais être infirmière ! » Et même à l’école de culture générale, pendant quatre ans, mon prof me répétait souvent: « ce n’est pas possible !», même si à la fin, il a dû finir par admettre que j’y arriverai !

Et aujourd’hui, vous êtes à la Haute Ecole de Santé de Genève, pour réaliser votre rêve…

Oui, et ce n’est pas facile, car il y a beaucoup de pression et de travail! Mais le jeu en vaut vraiment la chandelle. J’ai commencé en septembre 2010 et j’ai fait en parallèle l’année préparatoire et la maturité spécialisée. Si tout va bien, je devrais finir dans un peu plus de deux ans ! Il faut dire que je suis très motivée: quand on fait un métier que l’on n’aime pas, la vie devient vraiment dure ! (rires)

Comment surmontez-vous ces obstacles ?

Bien sûr, j’ai des moments de découragement, mais plus les gens me critiquent et plus j’ai envie de réussir ! Et quand je ne comprends pas quelque chose, je n’hésite jamais à le dire ! Il faut toujours oser et si ça ne marche pas, tenter une autre voie. Mais d’abord, il faut essayer, ne serait-ce que pour ne pas regretter en suite !

Votre famille a-t-elle joué un rôle ?

Très important ! Mes parents m’ont toujours soutenue, tout en respectant mes choix. Avant que je ne sois implantée, ils n’avaient pas hésité à apprendre la langue des signes. Et lorsque j’ai été implantée à l’âge de trois ans, ce fut l’inverse, ma mère a pris la décision d’arrêter d’utiliser la langue des signes pour m’obliger à apprendre à parler ! Enfin, dans ma famille, on a le sens du travail. J’ai toujours vu ma sœur, qui est à l’université pour devenir avocate, beaucoup travailler. Alors forcément, ça stimule ! Ceci, sans compter l’amour et l’affection que j’ai toujours reçus…

En dehors de votre entourage, d’où vous vient cette volonté d’avancer à la fois déterminée et très décontractée ?

C’est mon caractère: je ne suis pas timide, je suis très ouverte sur le monde. J’aime sortir en boîte rencontrer des gens, faire du shopping et j’adore aller vers les autres. J’ai d’ailleurs beaucoup d’amis, au point que je suis une sorte de pont entre sourds, malentendants et entendants. Un jour, un prof m’a même dit: « je n’aurais jamais imaginé qu’une sourde puisse être aussi bavarde ! » (rires)

Quels sont vos projets après vos études ?

Alors là, je n’en manque pas ! D’abord boucler les études, car ce n’est pas facile. Ensuite, travailler pour acquérir de l’expérience, notamment en néonatalogie et en soins palliatifs. J’aime les expériences fortes et marquantes, comme le stage que j’ai fait il y a deux ans dans un dispensaire au Cameroun ! J’aimerais d’ailleurs ensuite travailler dans une mission humanitaire…

Et à plus long terme ?

C’est très clair: mon objectif, c’est de créer un jour un pôle d’accueil de soins en langues des signes pour sourds et malentendants. Il en existe une dizaine en France et aucun en Suisse romande.

Propos recueillis par Charaf Abdessemed