Publié le: 16 avril 2021

Un implant pour soigner le trouble vestibulaire bilatéral

Un implant pour soigner le trouble vestibulaire bilatéral

Longtemps responsable du service d’ORL aux Hôpitaux universitaires de Genève, le professeur Jean-Philippe Guyot fait office de pionner dans l’implantation vestibulaire. Inspiré de l’implant cochléaire, l’implant vestibulaire vise à soigner le trouble vestibulaire bilatéral qui affecte gravement le sens de l’équilibre de ceux qui en souffrent.

Qu’appelle-t-on « sens vestibulaire » ?
C’est tout simplement un de nos six sens, à l’instar de la vision, de l’odorat etc…  Il trouve son origine dans l’appareil vestibulaire situé dans l’oreille interne juste à côté de la cochlée, organe de l’audition. Son rôle est d’informer le cerveau de nos moindres mouvements et il est à l’origine des réflexes très rapides indispensables au maintien de l’équilibre non seulement du corps mais aussi des yeux ! Par exemple lors de la marche, c’est la fonction vestibulaire qui permet de garder le regard fixe sur une cible visuelle. C’est aussi elle qui concourt à nous orienter dans l’espace, à retrouver notre chemin.

Ce sens, visiblement si important, peut-il être altéré ?
Oui, on peut perdre la fonction vestibulaire ou même naître sans elle. En cas de perte unilatérale, le cerveau est capable de s’adapter et la perte peut même passer inaperçue lorsqu’elle s’installe progressivement. Si elle est subite, il y a un important vertige mais qui s’estompe en quelques semaines en ne laissant que peu de symptômes mineurs.

Et en cas de perte bilatérale ?
Là c’est très différent. Dans ce cas, la perte peut se faire par paliers, chaque nouvelle perte s’accompagnant d’un épisode de vertige, ou s’installer progressivement, sournoisement, causant un déséquilibre permanent qui s’aggrave au fur et à mesure que la perte progresse.

Quels symptômes présentent alors les patients ?
Une fois le déficit complètement installé, les patients souffrent d’un état pseudo-ébrieux constant, cause de fréquentes chutes, d’une vision floue au moindre mouvement, à un point tel qu’ils doivent s’arrêter pour lire une affiche ou reconnaître les personnes venant à leur rencontre. Il y a également des difficultés d’orientation et les patients racontent par exemple :  « je sais où est le supermarché mais par où dois-je passer pour m’y rendre ? ». Chez beaucoup de malades, s’ajoute un sentiment de honte dû au regard méprisant des passants qui les prennent pour des ivrognes ainsi que le sentiment de ne pas être compris ! Même leur entourage ne mesure pas à sa juste valeur le handicap lié à un déficit vestibulaire bilatéral.

Y a - t-il un lien entre déficit vestibulaire et malentendance ?
Dès lors que l’évaluation vestibulaire est négligée par les médecins, il est difficile de savoir si un déficit vestibulaire bilatéral est plus ou moins fréquent chez les patients souffrant d’une malentendance ou d’une surdité. Alors que je dirigeais encore le service ORL des HUG, une jeune femme souffrant d’une surdité profonde depuis sa plus tendre enfance nous a été adressée pour un implant cochléaire. Elle avait eu de très nombreux tests de l’audition, à intervalles réguliers, mais aucun des médecins qui l’avaient suivie ne s’étaient intéressés à sa fonction vestibulaire. Lorsque nous lui avons demandé si sa vision était floue à la marche, elle a été surprise de la question pensant que cela était normal puisque sa vision avait toujours été floue au moindre mouvement !

Est-il possible de soigner le déficit vestibulaire bilatéral ?
Il n’y a malheureusement pas de traitement permettant de restituer la fonction vestibulaire. Certes, la pratique d’exercices spécifiques permet au cerveau de développer des stratégies pour diminuer les troubles, mais aucune ne donne de résultat satisfaisant parce que, à l’exclusion de toute autre système sensoriel, seul le système vestibulaire est capable de générer les réflexes extrêmement rapides indispensables au maintien de la posture debout sur 2 jambes, et même sur une seule, et à éviter les chutes.

A quoi bon poser un diagnostic, si on ne peut rien faire ?
Si, c’est important pour éclairer le patient sur l’origine des troubles dont il souffre et aussi pour éviter toutes sortes d’investigations inutiles et parfois invasives, comme des ponctions lombaires à la recherche d’une affection neurologique.

La recherche n’offre donc aucune perspective de traitement ?
Plusieurs équipes au monde cherchent à faire renaître les cellules déficientes des organes sensoriels, que ce soit de la vision, de l’audition ou de la fonction vestibulaire. Ces recherches d’ordre biologique représentent le futur, indéniablement. Malheureusement, il est difficile de prévoir quand elles aboutiront à une application clinique.

Vous, de votre côté, travaillez sur un projet de neuroprothèse…
Oui, l’idée est de remplacer la fonction vestibulaire perdue sur le modèle de l’implant cochléaire utilisé en clinique depuis le milieu des années 80 pour redonner une audition aux sourds profonds. L’implant cochléaire est fait d’un microphone, d’un processus électronique transformant les sons en signaux électriques en remplacement de la cochlée, et d’électrodes implantées chirurgicalement au contact du nerf auditif. Il semblait logique de développer un implant vestibulaire, sur un modèle identique, pour restituer la fonction d’équilibre aux patients souffrant d’une perte bilatérale de la fonction vestibulaire.

Et concrètement où en est-on ?
En 2000, Daniel Merfeld, un physiologiste de l’université Harvard à Boston (USA), est un des tout premiers à en avoir eu l’idée. En 2002, ses premiers résultats obtenus chez l’animal étaient si encourageants que des expériences pouvaient s’envisager chez l’homme. Il m’en a confié la tâche. Ainsi, les toutes premières expériences chez l’homme ont pu débuter à Genève en 2004 et la première implantation réalisée en 2007. Toutefois, plusieurs étapes doivent encore être franchies avant la mise en application clinique de notre prototype d’implant vestibulaire, qui devrait aboutir d’ici 4 ou 4 ans.

 

Près de 4000 Suisses touchés

Une étude américaine estime qu’entre l’Europe et les Etats-Unis, environ 500’000 personnes souffriraient d'un déficit vestibulaire bilatéral complet, chiffre, qui, ramené à la population suisse, correspondrait à près de 4'000 personnes. Ce chiffre est probablement sous-estimé au vu du grand nombre de médecins de diverses spécialités que les patients doivent consulter pour aboutir à un diagnostic. Car si les médecins savent que la fonction vestibulaire existe, peu savent qu’elle peut totalement manquer en-dehors de quelques situations précises comme une atteinte toxique par certains antibiotiques.

 

Un test à la caméra pour poser le diagnostic

Il est aujourd’hui possible d’évaluer la fonction vestibulaire en réponse à des mouvements de hautes fréquences par le « test d’impulsion de la tête », effectué à l’aide d’une caméra et d’un logiciel : le patient se tient assis face à la caméra,  fixe son regard alors que le médecin lui tient la tête des deux mains et lui imprime des petits mouvements rapides. Un logiciel analyse ensuite les mouvements de la tête et ceux des yeux. En cas de déficit vestibulaire, les yeux du malade suivent le mouvement de la tête et le patient perd la caméra du regard pour une fraction de seconde : il est obligé de faire une saccade oculaire pour retrouver la caméra ! Si cette saccade est parfois observable au seul examen clinique, l’examen à l’aide de la caméra est du logiciel est indispensable : sans eux, le médecin ratera plus de deux tiers de cas pathologiques, le bilan fonctionnel du système vestibulaire sera considéré comme incomplet et aucune conclusion ne pourra en être tirée!

Les enfants également atteints

Les enfants qui naissent avec un déficit vestibulaire bilatéral se déplacent peu. Ainsi, à l’âge où ils devraient ramper sur le ventre pour chercher un objet, ils renoncent à le faire et ne saisissent que les objets à portée de leurs bras et ils ne sont capables de marcher qu’à l’âge de deux ans ou plus. Malheureusement, peu de médecins ignorent que le problème peut exister chez les nouveau-nés et les enfants et sont donc rarement capables de le diagnostiquer. Le diagnostic repose sur des signes subtils que seul un équipement spécifique peut mettre en évidence et que la plupart des ORL ne possèdent pas.