Publié le: 15 mai 2016

Une entreprise qui forme un apprenti malentendant

Une entreprise qui forme un apprenti malentendant

FRIBOURG - Située à Enney, près de Bulle dans le canton de Fribourg, l’entreprise de construction métallique Morand SA n’a pas hésité à recruter le jeune malentendant Julien Pasquier comme apprenti. Au point que celui-ci enchaîne cette année avec un deuxième apprentissage (lire « Les jeunes ont la parole » en page 22). Rencontre avec le directeur opérationnel Jean-François Suchet, qui réaffirme la vocation sociale de son entreprise.

Au moment où il a été accepté en apprentissage dans votre entreprise, et lorsqu’il a fait mention de ses problèmes d’audition, le jeune Julien Pasquier s’est vu répondre : « Bah, ce n’est qu’un problème technique » …

Jean-François Suchet: Ce n’est pas moi qui ai recruté à l’époque Julien, mais je fais volontiers mienne cette phrase. D’autant que ses soucis d’audition n’ont jamais prétérité son travail. Pour moi, Julien est un apprenti comme les autres, et on ne ressent aucune différence dans son travail quotidien. D’ailleurs, ici, peu de gens dans son entourage proche le savent. Sauf son responsable d’atelier, qui fait juste attention à se mettre du bon côté lorsqu’il lui parle.

De nombreux jeunes malentendants éprouvent de réelles difficultés à trouver une place d’apprentissage… Concevez-vous qu’un handicap puisse être un frein pour eux ?

Bien sûr. Mais de nombreux handicaps n’empêchent pas de travailler. En fait, tout dépend du niveau et de la nature du handicap de la personne ainsi que du poste auquel elle se destine. Par exemple, il est difficile d’exercer en atelier si on souffre d’un handicap moteur important.

Avez-vous dû prendre des mesures particulières pour Julien ?

Non pas du tout ! En dehors bien sûr, des classiques mesures de protection au travail, valables pour tout le monde, comme les lunettes, les chaussures adaptées ou les protections auditives habituelles. En fait, Julien est traité exactement comme tous les autres employés. Et je dois dire qu’il a fait preuve d’une très grande motivation dans son apprentissage de constructeur, pour lequel je l’ai suivi tous les six mois dans le cadre des traditionnels entretiens d’évaluation. Il y a d’ailleurs obtenu d’excellentes notes. Ensuite, je lui ai proposé un stage dans notre bureau technique pour voir si le travail de dessinateur pouvait lui convenir. Et ça a été le cas, puisque depuis septembre dernier, il a entamé un deuxième apprentissage ! Tout se passe très bien et il devrait terminer d’ici la fin de l’année 2017. Et je compte bien sur lui pour la suite si tout se déroule aussi bien.

Avez-vous d’autres apprentis souffrant d’un handicap ?

Non. Mais nous jouons un rôle en aval, car travailler sur un chantier est usant. Pour nos employés qui sont en reconversion professionnelle, nous essayons, dans la mesure du possible, de toujours trouver des postes adaptés. D’une manière générale, nous trouvons dommage de perdre des gens motivés, et si on peut les garder, on le fait toujours. En outre, en partenariat avec l’ORIF (Organisation romande d’intégration et de formation professionnelle, ndlr), nous offrons également des places de stages pour des personnes extérieures qui sont en processus de reconversion.

D’où vous vient cette fibre sociale ?

Même si nous comptons plus de 170 employés, nous sommes à la base une entreprise familiale et à ce titre nous sommes conscients de notre responsabilité sociale. En fait, on s’inscrit pleinement dans la lignée des fondateurs de l’entreprise. Et puis, nous sommes conscients que tout miser sur le profit immédiat condamne une entreprise à vivre sur le court terme. C’est la raison pour laquelle nous formons chaque année une dizaine d’apprentis, aussi bien en atelier, que dans notre bureau technique ou dans l’administration. Si notre entreprise veut durer, elle doit former la relève.

Propos recueillis par Charaf Abdessemed

 

[zone]Une société centenaire

Depuis plus de 100 ans, l’entreprise R. Morand & Fils est active avec succès dans le domaine de la construction métallique. Fourniture de charpentes, de façades vitrées de façades industrielles, mais aussi rénovation de toitures, serrurerie et autres travaux font partie des prestations qu’elle assure à sa clientèle. Le début des activités de l’entreprise remonte à 1899. Louis Morand exploite alors une forge qui sera reprise dès 1950 par son petit-fils, René Morand. A cette époque, la taillanderie est «le» secteur d’activité de la forge et des outils destinés au bûcheron ou à l’agriculteur y sont fabriqués. Aujourd’hui, la société emploie quelque 200 personnes dont 27 apprentis répartis sur les sites d’Enney, Vallorbe, Genève et Conthey.[/zone]