«Soyez forts et n’acceptez pas quand on vous dit que c’est impossible!»

19 octobre 2024
Publié le :
Âgée de 39 ans, Sofia Da Assunçao Martins est malentendante depuis sa plus tendre enfance. Retour sur l’incroyable parcours, depuis le Portugal jusqu’à la Suisse, d’une jeune femme résiliente et dotée d’une volonté hors norme. Depuis quand êtes-vous malentendante ?
Depuis l’âge de trois an et demi. J’ai perdu l’audition des deux oreilles en même temps, en raison de la consommation d’un antibiotique. Mais parents ne s’en sont pas rendu compte car je parlais et j’évoluais normalement. Et c’est à la crèche au Portugal, qu’une maîtresse a compris que quelque chose n’allait pas. Mes parents m’ont donc amenée à consulter un ORL qui a diagnostiqué que j’étais sourde, même s’ils ne l’ont pas cru ! (rires)
Pourquoi ne l’ont-ils pas cru ?
Parce que comme j’avais appris à lire sur les lèvres toute seule, j’interagissais très bien et répondais quand ils me parlaient. Évidemment, le 2e ORL consulté a abouti au même diagnostic : perte auditive à 80% des deux côtés ! (rires)
Comment s’est déroulée votre scolarité ?
Plutôt bien, j’étais assiste juste à côté de l’enseignante pour pouvoir lire sur ses lèvres, car j’en avais besoin malgré mes appareils auditifs. Ce qui était plus difficile en revanche, c’étaient les moqueries et le harcèlement, pas faciles à vivre. Au collège, puis au lycée également, j’ai obtenu de bonnes notes, même si bien sûr je travaillais beaucoup le soir, une fois rentrée chez moi. Et puis, il faut dire aussi qu’en lieu et place de mes cours d’anglais, j’avais des cours de soutien en portugais et en mathématiques.
Que faites-vous après l’école obligatoire ?
L’université ! Je voulais devenir vétérinaire mais mon père n’a pas voulu car cela impliquait de quitter ma ville natale d’Aveiro. Alors, comme je voulais absolument faire des études, j’ai choisi le bachelor en biologie. Je suis d’ailleurs la première de la famille à avoir fait des études universitaires et j’en suis très fière parce que toute petite, un enseignant avait dit à mes parents : « Ce sera très compliqué pour elle de devenir quelqu’un ! ».
Avez-vous été soutenue dans votre parcours ?
Pas vraiment, je me suis toujours débrouillée toute seule en puisant mes forces en moi-même, même si je suis ce que je suis grâce à mes parents, que je remercie malgré leur tendance à trop me protéger (rires).
Tout de même, l’université, ce ne devait pas être facile !
Pas facile du tout ! Il fallait tout écrire, reprendre les notes le soir, vérifier que les infos que j’avais prises était justes, faire des fiches… c’était un travail énorme !
Que faites-vous après l’uni ?
J’ai rejoint mes parents qui venaient de s’installer en Valais. C’était en 2011, j’avais 25 ans, et il a fallu tout recommencer à zéro. J’ai commencé par trouver un job comme femme de ménage et fille au pair et j’ai pris des cours de français que je ne parlais pas du tout à l’époque.
Comment la situation s’est-elle débloquée pour vous ?
Je voulais avancer. Alors un jour, je suis allée voir l’AI en disant : « je ne veux surtout pas d’argent mais je veux que vous m’aidiez à trouver un travail !». Et là, un conseiller m’a proposé de tenter l'Ecole des métiers du laboratoire à Genève. J’ai passé l’examen d’entrée, et trois ans plus tard en juin 2017 j’étais diplômée en tant que technicienne en analyses biomédicales ! Et comme j’avais suivi mon stage aux HUG, j’y ai été embauchée 6 mois plus tard au laboratoire de bactériologie. J’y travaille toujours !
Travailler dans un laboratoire, ce n’est pas trop compliqué pour une malentendante ?
Ce n’est pas toujours évident bien sûr, mais avec le temps mes collègues ont appris à s’adapter et surtout j’adore mon travail ! Il faut dire aussi que depuis que j’ai été implantée, il y a six ans, les choses sont devenues plus faciles, même si bien sûr tout n’est pas parfait. L’implant a changé beaucoup de choses, je peux répondre au téléphone, entendre les alarmes et j’ai moins besoin d’avoir recours à la lecture labiale, même si à la fin de la journée, je reste très fatiguée. Rendez-vous compte : avant les implants, je ne savais pas que le papier toilette pouvait faire du bruit ! (rires)
En travaillant à 100% vous reste-t-il du temps pour des hobbies ?
Oui bien sûr. Je voyage beaucoup car j’adore ça, je fais du fitness et surtout de la randonnée qui me permet de me ressourcer !
D’où vous vient cette incroyable volonté de réussir, et finalement ce destin hors norme qui vous a fait triompher de toutes les difficultés ?
Partout où j’ai été depuis toute petite on m’a toujours dit : « ce n’est pas pour toi, c’est trop compliqué » etc… Même durant mon premier stage aux HUG une enseignante m’a dit « Vous n’êtes pas faite pour ce métier ». C’est de là me vient cette rage de réussir et de montrer que je peux tout faire comme les autres et avancer ! Si j’ai un conseil à donner aux autres malentendants, c’est celui-ci : « soyez forts et n’acceptez pas quand on vous dit que c’est impossible ! »