Publié le: 08 septembre 2023

Fadhel El May, une vie sous le signe de l’implant cochléaire

Fadhel El May, une vie sous le signe de l’implant cochléaire

Né sourd profond à Genève, implanté à l’âge de 16 ans, Fadhel El May, après un master à l’EPFL, poursuit aujourd’hui des études de doctorat en neurosciences de l’audition à l’université de Göttingen en Allemagne. Son sujet de recherche, absolument novateur ? « La stimulation optique du nerf auditif par l’implant cochléaire ».

C’est clairement un destin hors norme. Être né sourd profond, puis implanté cochléaire et vouer ensuite sa vie professionnelle à… l’implant cochléaire. Tel est l’incroyable parcours de Fadhel El May, né à Genève en 1991, d’un papa tunisien banquier et d’une maman syrienne décoratrice d’intérieur. Étonnamment, la surdité du jeune bébé n’a pas vraiment été une surprise pour la famille. Un frère ainé, né un peu plus d’une année plus tôt, était en effet atteint du même handicap, dont la cause a rapidement été identifiée comme étant génétique. « Le gène a l’origine de cette surdité était récessif, avoir un premier enfant sourd relevait d’une probabilité de 1 sur 4, un second de 1 sur 16. On peut vraiment dire qu’on a gagné au loto » éclate de rire Fadhel.

En tout état de cause, le bébé est quasiment appareillé dès la naissance, et très rapidement pour les deux frères, se pose la question de la scolarisation. Très présents et très impliqués, et alors que leur progéniture était de prime abord orientée vers l’Ecole pour enfants sourds, les deux parents font le choix d’un enseignement au milieu des normo-entendants, en privilégiant le collège du Léman, une structure privée réputée du canton de Genève. « Le directeur, informé du problème, s’est aussitôt investi et en a fait un projet personnel en déclarant à mes parents : « je vais emmener ces deux enfants jusqu’à la maturité » », raconte Fadhel, avec une gratitude encore perceptible dans la voix.

Gratitude

Gratitude pour le collège du Léman, qui avait concédé un véritable effort en termes de frais de scolarité, gratitude pour toutes les auxiliaires LPC qui l’ont accompagné durant l’ensemble de sa formation et enfin et surtout, gratitude pour ses parents : « Ils ont été exceptionnels et sans eux je ne serais pas là où je suis aujourd’hui. Pour un malentendant, l’accompagnement fait 90% du travail. Mes parents ont fait de nous leur priorité et ma mère a même mis de côté une bonne partie de ses activités professionnelles pour s’occuper de ses enfants sourds n’hésitant pas, avec son incroyable optimiste, à apprendre le LPC ».

Les résultats en tout cas sont là, et les deux enfants, à force d’efforts et de soins, obtiennent d’excellentes notes. Il faut dire que dans l’intervalle, les deux frères ont eu recours à l’implantation cochléaire, l’aîné à reculons, le cadet avec enthousiasme : « Quand j’ai vu les résultats de l’implantation chez mon frère, je suis allé voir la doctoresse Kos au CURIC et j’ai dit : "moi aussi je veux », sourit Fadhel. J’avais 16 ans et je sentais que j’étais au maximum de ce que je pouvais obtenir avec mes appareils auditifs ».

Avec l’implant, la scolarité n’en devient forcément que plus facile et le jeune homme décroche haut la main sa maturité. Nous sommes en 2010, et sonne l’heure des choix, entre HEC et l’EPFL. Sauf que la rencontre avec l’implant cochléaire a profondément marqué Fadhel, impressionné « par les progrès que peut autoriser un matériel technologique ».

Année difficile

Si l’entrée à l’EPFL pour qui détient une maturité est simple, la première année en revanche s’apparente à un chemin de croix. Entré en bachelor dans une nouvelle section « sciences de la vie », le jeune homme commence par échouer : « c’était une vraie claque, se souvient-il. Passer de cours en petit comité à de grands amphithéâtres à 350 personnes, avec un prof que l’on entend à peine, c’était très rude. Quand j’ai refait l’année, je n’avais plus droit à l’erreur et je n’ai jamais autant travaillé qu’à ce moment-là, en passant mes journées à la bibliothèque ».

Une fois le bachelor en poche, vient le temps du master. L’université de Columbia aux Etats-Unis, un temps envisagée, est abandonnée, en raison de frais de scolarité annuels de près de 80'000 francs. Ce sera donc encore l’EPFL, avec à la clé un travail de thèse consacré à… l’implant cochléaire. Dans l’intervalle, Fadhel El May aura tout de même passé une année d’échange universitaire à Boston, grâce à une bourse d’études. Le séjour est fructueux, et à la faveur d’une communication lors d’une conférence, il est recruté pour un doctorat à l’université de Göttigen, en Allemagne, où il séjourne depuis 2019. Son sujet de recherche ? « La stimulation optique du nerf auditif par l’implant cochléaire », un projet aux retombées très prometteuses qui améliorerait considérablement la qualité de la restitution auditive autorisée par les implants cochléaires.

Alors que se profile à l’horizon 2024-2025 la fin de son doctorat, le jeune homme reste traversé par un dilemme cornélien : « Je suis ouvert à beaucoup d’options, mais je suis partagé, résume-t-il. Mon ambition de base était de me consacrer à l’entrepreneuriat dans l’innovation technologique. Mais c’est vrai que la voie académique me trotte aussi dans la tête. Malgré les journées interminables et la charge de travail, nous sommes les seuls dans notre domaine de recherche et c’est très gratifiant. En fait, le rêve serait de pouvoir faire les deux en parallèle ! »