Publié le: 02 mars 2022

Juliette Perrin : « J’ai beaucoup été soutenue par ma famille »

Juliette Perrin : « J’ai beaucoup été soutenue par ma famille »

Âgée de 19 ans, Juliette Perrin, qui vit à Villeneuve (VD), est sourde profonde. Retour sur le parcours d’une jeune femme déterminée et bien dans sa peau, qui se rêve architecte.

Depuis quand es-tu malentendante ?

En fait, je suis sourde profonde des deux oreilles. Mes parents l’ont découvert parce qu’à l’âge de 2 ans, je ne réagissais pas à mon prénom. Le jour où dans la rue, une ambulance est passée sirènes hurlantes et que je n’ai pas réagi non plus, mes parents ont compris qu’il y avait un problème. Le plus drôle c’est qu’au début, les médecins disaient que j’étais entendante car je réussissais tous les tests (rires). Et puis ensuite bien sûr, l’évidence s’est imposée.

Quelle est la cause de cette surdité profonde ?

Elle est probablement d’origine génétique. J’ai en effet une cousine qui a le même handicap que moi, c’est donc l’hypothèse la plus vraisemblable.

As-tu été appareillée ?

Oui, on a fait un test avec des appareils auditifs classiques pendant 6 mois mais sans succès. Ensuite, on m’a posé des implants cochléaires, à l’oreille droite à l’âge de deux ans et demi, et à gauche à 3 ans.

Tu parles parfaitement, au point qu’en t’entendant, il est impossible de soupçonner que tu es sourde…

Le fait que j’ai été implantée si tôt a joué un rôle je pense… Car plus tôt on apprend à parler et mieux on parle, ainsi que le fait d’ailleurs d’être intégrée dans le monde des entendants. Et puis évidemment, il a fallu beaucoup de travail, avec les logopédistes, etc. Enfin, j’ai beaucoup été soutenue par ma famille. Mes parents et mes grands-parents ont même appris la langue des signes, ainsi que ma sœur, qui bien qu’entendante, a appris à signer avant même de parler ! Sans ma famille, et sans ma sœur, je m’en serais moins bien sortie c’est sûr…

Tu parles la langue des signes ?

Oui même si je l’ai un peu oubliée, car je l’utilise moins qu’avant.

Comment s’est déroulée ta scolarité ?

Au début, j’ai été intégrée une partie de la semaine à l’Ecole Cantonale pour Enfants Sourds de Lausanne et l’autre partie en garderie normale à Villeneuve… Très vite, j’ai ensuite été dans une école pour entendants, même si je n’ai prononcé mes premiers mots qu’à 3 ans…

Et comment cela s’est-il passé ?

Très bien. Les enseignants ont mis le micro, j’avais le soutien d’une codeuse, qui d’ailleurs à la fin ne venait plus que pour les cours de langues étrangères. Non, tout s’est bien passé en dehors de quelques jalousies de la part de certaines camarades (rires)…

Qu’as-tu fait à la fin de ta scolarité obligatoire ?

J’ai suivi le gymnase et une fois ma maturité obtenue, je me suis inscrite à l’EPFL pour un cursus en architecture.

L’EPLF ? Quel défi !

Oui, mais j’ai dû arrêter malheureusement, car j’ai commencé en pleine pandémie de coronavirus et c’était très difficile de suivre les cours avec les enseignants masqués, les cours en ligne ou en langue anglaise que je ne maîtrisais pas assez. En décembre 2020, j’ai décidé d’arrêter et dans la foulée, j’ai pris des cours intensifs d’anglais !

Et maintenant, où en es-tu de tes études ?

Je suis en train de faire une année de stage pour ensuite intégrer la HES en architecture à Fribourg !

Décidément l’architecture, c’est une passion…

Je ne sais pas (rires). Mais j’aime les maths et le dessin, et l’architecture combine les deux. Et puis nous habitons une vieille maison qui a nécessité beaucoup de travaux… Cela peut expliquer mon intérêt…

Tu penses qu’à l’HES de Fribourg, ce sera plus facile qu’à l’EPFL ?

Pendant mon année de stage, j’ai passé 8 semaines de cours préparatoires à Fribourg. Je connais donc ma future classe et mes professeurs qui sont déjà prêts à jouer le jeu avec moi. Du coup, je me fais donc moins de souci.

Finalement, qu’est ce qui a été le plus difficile, dans ton parcours de surdité ?

Le regard des autres, pas toujours facile à vivre, même si à l’âge adulte, cela n’a plus d’importance… J'ai aussi beaucoup souffert du retard que j'ai eu par rapport à mes camarades et ma sœur. Par exemple je ne connaissais pas les significations des "nouveaux" mots comme par exemple : wesh, genre, seum, iep, etc, les gros mots ou les mots sexuels… Alors bien sûr, cela pouvait provoquer beaucoup de gêne quand je demandais ce que ça voulait dire. Enfin ce n’était pas facile avec la musique : dans les soirées je connais très peu de chansons et quand tout le monde chante en chœur je suis complètement à part…

En dehors de la scolarité, quels sont tes centres d’intérêt ?

J’ai fait pas mal de choses, de la gymnastique aux agrès, de la batterie qui m’a beaucoup appris sur les rythmes, cinq années de piano… Je suis aussi très sportive puisque je fais de la grimpe en été et j’enseigne le ski en hiver.

Tu as l’air d’avoir un caractère particulièrement affirmé !

Dans ma famille, les femmes sont comme ça. Ma mère et ma grand-mère sont, disons, très déterminées (rires !)